Arabe marocain : grammaire

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Propriétés contrastives arabe marocain / français

Difficultés que peut rencontrer un élève de langue maternelle arabe marocain pour apprendre le français

Mohamed Lahrouchi, CNRS & Université Paris 8

L’arabe marocain (AM), appelée aussi darija, est une des variétés de l’arabe, appartenant au groupe des langues sémitiques (branche de la famille afro-asiatique). Environs 30 millions de marocains la parlent en tant que première ou seconde langue. De par sa structure phonologique et morphosyntaxique, l’AM est plus proche de l’arabe algérien que de l’arabe tunisien. Il se caractérise au niveau phonologique par la perte des voyelles brèves de l’arabe classique et la réduction des voyelles longues en voyelles brèves. Au niveau morphologique, on note en particulier, l’absence du marquage casuel.

L’AM partage une grande partie de son vocabulaire avec l’arabe standard, même si on note aussi un important substrat berbère et un grand nombre d’emprunts au français et à l’espagnol. A titre d’exemples, on trouve en AM :

tobis « autobus » banyo es. « baño »

mutur « moteur » sobba es. « sopa »

tilifun « téléphone » makina es. « maquina »

blaSa « place »  bumba es. « bomba »

stilu « stylo » girra es. « guerra »

brika « brique » kabayla es. « cabella » fr. « maquereau »

biru « bureau »

L’AM est une langue essentiellement orale pouvant néanmoins s’écrire en alphabet arabe (dérivé de l’alphabet araméen, lui-même dérivé du phénicien). Un alphabet à base consonantique où les voyelles brèves se notent diacritiques au dessus et en dessous des consonnes.

Beaucoup de marocains parlent couramment le français, le Maroc ayant été sous protectorat français de 1912 à 1956. Le français a été jusque dans les années 1990 la langue d’enseignement de plusieurs matières au niveau primaire et secondaire et demeure présent dans le supérieur. Il en résulte une certaine facilité pour les marocains à apprendre le français. On trouve cependant plusieurs différences entre les deux systèmes linguistiques, notamment au niveau de la structure de la phrase, l’ordre des constituants (VSO en AM / SVO en français) et la définitude (les emprunts au français sont intégrés avec l’article défini qui n’assure pas toujours la fonction de défini : ex. lbaliza "la/une valise". De même, au niveau phonémique on note l’absence de plusieurs.

 

1. Phonétique - phonologie

Système consonantique arabe marocain

(la translitération est indiquée entre parenthèses)

occlusives

 

b

 

 

t

d

 

 

 

k

g

q

 

 

 

occlusives emphatiques

 

 

 

 

(T)

(D)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

fricatives

 

 

f

 

s

z

ʃ (ch)

ʒ (j)

 

�� (kh)

ʁ (gh)

 

ħ

(H)

ʕ (‘)

h

fricatives emphatiques

 

 

 

 

(S)

(Z)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

nasales

 

m

 

 

 

n

 

 

 

 

 

 

 

 

 

liquides

 

 

 

 

 

 

l r

 

 

 

 

 

 

 

 

Liquides emphatiques

 

 

 

 

 

 

lˤ rˤ

(L) (R)

 

 

 

 

 

 

 

 

approximantes

 

w

 

 

 

 

 

 

j

(y)

 

 

 

 

 

 

N.B. chacune des consonnes de l’AM possède sa contrepartie géminée, notée en double.

 

Système vocalique : i a u, en plus du ə épenthétique.

 

Comparé à l’arabe standard, l’AM a perdu l’opposition de longueur au niveau vocalique. En règle générale, toutes les voyelles longues de l’arabe standard sont devenues brèves en AM tandis que les voyelles brèves ont tout simplement disparu, laissant place à des schwas épenthétiques dont la distribution est totalement prédictible.

Notons à ce propos que les schwas en AM ne sont pas arrondis comme en français mais plutôt écartés et hauts, proches de ce qui est noté phonétiquement comme [ɨ].

 

Parmi les sources possibles de difficulté dans l’apprentissage des systèmes consonantique et vocalique du français, on note l’absence en AM des voyelles nasales. Toute voyelle nasale est réinterprétée en AM comme une suite voyelle orale + consonne nasale : fanti « feinter », lɨbbans « une pince », TTon « ton ». On note également l’absence des voyelles orales suivantes : /y, e, ø, o, ɛ, œ, ɔ/. Certaines parmi celles-ci, notamment les voyelles moyennes /e/ et /o/ peuvent se réaliser en AM au voisinage de consonnes emphatiques : pour « autobus », on dit Tobis et non pas Tubis. Quand aux consonnes, l’AM ne possède ni /p/ ni /v/ ni /ɲ/ et n’a pas non plus l’approximante labio-palatale /ɥ/.

Quoique non phonémiques, [p] et [v] se trouvent dans les emprunts récents au français comme dans lparasol «  parasol », lpist « piste », lvidyo « vidéo ».

Quant à l’accent, il est final, comme en français, s’apparentant plus à un accent de groupe qu’à un accent de mot.

 

2. Morphosyntaxe

2.1. Ordre des mots

VSO est l’ordre par défaut des mots dans la phrase en AM opposé à l’ordre SVO en français :

(1) qra rrajl l@ktab

lire.perfectif.3ms homme.def livre.def

"L’homme a lu le livre"

 

A côté de cet ordre par défaut, on trouve aussi l’ordre SVO. Mais il semble que ce soit plus une forme de topicalisation :

(2) rrajl qra l@ktab

homme.def lire.perfectif.3ms livre.def

"L’homme a lu le livre" ou "l’homme, il a lu le livre"

 

2.2. L’AM se caractérise par l’absence des pronoms-sujet, opposé en cela au français où ces pronoms sont obligatoires :

(3) qra / qrat / qrit / qriti

il a lu elle a lu j’ai lu tu as lu

 

Des pronoms forts peuvent précéder le verbe pour marquer une forme de topicalisation ou d’emphase :

(4) ana, qrit

moi, j’ai lu

 

2.3. Négation

La négation est doublement marquée en AM comme en français. On utilise dans ce sens, le morphème ma devant le verbe et le morphème –ch suffixé au verbe :

(4) ma qra-ch rrajl l@ktab

Neg lire.perfectif.3ms-Neg homme.def livre.def

"L’homme n’a pas lu le livre"

 

2.4. Groupe nominal

Le défini est marqué en AM par l’article l- qui précède le nom :

(5) l@ktab « le livre » / ktab « un livre »

 

Cet article gémine par assimilation chaque qu’il est ajouté à un nom qui une consonne coronale :

(6) ddar « la maison » / dar « une maison »

 

Le pronom démonstratif précède le nom :

(7) had ddar

cette maison

 

On aura remarqué dans ce dernier exemple l’usage simultané de l’article défini et du pronom démonstratif ; chose qu’on ne peut réaliser en français.

 

Le pronom possessif est décliné sous deux formes suivant la nature de la possession (aliénable ou inaliénable) :

(8)

a. ras-i

tête-ma

"ma tête"

b. l@ktab dial-i

le livre à-moi

"Mon livre"

 

L’AM ne distingue pas entre pronoms relatifs sujet et objet. Un seul pronom « lli » sert dans les deux cas :

(9)

a. rrajl lli ch@ft

l’homme que j’ai vu

b. rrajl lli ddaz

l’homme qui est passé

L’adjectif suit le nom en AM :

(10)

a. rajl kbir

homme grand

"Grand homme"

b. t@mrin wa’@r

exercice difficile

 

2.5. Cas morphologiques

L’AM a perdu les désinences casuelles de l’arabe standard. Les noms n’ont aucune marque casuelle. Par exemple, les marques –u du nominatif et –a de l’accusatif en arabe standard ont disparu en AM :

(11)

a. qara"a arrajul-u alkitaab-a (arabe standard)

lire.perfectif.3ms homme.def-Nom livre.def-ACC

"L’homme a lu le livre"

b. qra rrajl l@ktab (arabe marocain)

lire.perfectif.3ms homme.def livre.def

"L’homme a lu le livre"

 

2.6. Genre et nombre

Le genre masculin est non-marqué ; le féminin est marqué par un t préfixé au verbe à l’imperfectif et suffixé au perfectif (voir 12). Le nom et l’adjectif prennent un –a suffixé au féminin (voir 13) :

(12)

a. kla / kla-t

manger.perf.3ms manger.perf.3s-f.

« il a mangé » « elle a mangé »

b. ka y-akol / ka t-akol

être entrain de manger.imperf.3ms être entrain de manger.imperf.3s.f

« il mange » « elle mange »

 

(13)

a. mu’llim mu’llima

« instituteur » « institutrice »

b. kbir kbira

« grand » « grande »

 

Quant au nombre, l’AM distingue comme le français, le singulier du pluriel. Il a perdu le duel de l’arabe standard. Les marques du nombre pluriel sont suffixées au verbe tandis que le nom peut utiliser un suffixe (pluriel externe) ou un infixe (pluriel interne). C’est là une des caractéristiques des système dits non-concaténatifs par opposition au système exclusivement concaténatif du français :

 

(14)

a. dar daro

faire.perfectif.3ms faire.perfectif.3pl

b. ktab « livre » ktob « livres »

c. mu’llim « instituteur » mu’llim-in « instituteurs »

 

2.7. Temps/aspect

L’AM possède un système aspectuel qui oppose le perfectif à l’imperfectif, contrairement au français qui distingue plusieurs temps. Les marques du perfectif sont suffixées au verbe tandis celle de l’imperfectif sont préfixées (et suffixées pou certaines personnes) :

(15) kt@b « écrire »

Perfectif Imperfectif

1s kt@b-t ka n-@kt@b

2s kt@b-ti ka t-k@tbi

3ms kt@b ka y-@kt@b

3fs k@tbat ka t-@kt@b

1pl kt@bna ka n-k@tb-u

2pl kt@btu ka t-k@tb-u

3pl k@tbu ka y-k@tb-u