Rromani : grammaire

Comparaison rromani / français dans une perspective didactique

 

Aurore TIRARD, CNRS – UMR 7107 Lacito, Institut National des Langues et Civilisations Orientales

 

 

  1. Le peuple et sa langue

 

  1. Le peuple

 

Les ancêtres des Rroms ont quitté l’Inde du nord il y a un millénaire, au Xe ou XIe siècle. L’hypothèse la plus récente date leur exode en 1018, date où le sultan Mahmoud de Ghaznî a déporté la population de la ville de Kânnauj. Ils ont traversé toute l’Eurasie, empruntant beaucoup de vocabulaire au persan (environ 60 racines de mots) et à l’arménien (environ 20 racines) et à d’autres langues caucasiennes. Leur présence est ensuite attestée dans les Balkans et en Europe centrale au XIVe siècle. On suppose qu’au cours de ce périple, ils ont demeuré durant une longue période dans l’aire hellénophone, probablement en Anatolie centrale ou orientale – ce en raison de l’influence très importante du grec sur la morphologie, la syntaxe et le lexique du rromani (environ 200 racines). Une partie d’entre eux se serait ensuite dispersée vers le nord et l’ouest de l’Europe, notamment en raison de la conquête des Balkans et du sud de l’Europe centrale par les Ottomans. En France, leur présence est attestée dès le XVe siècle. Ceux qui sont restés au sud-est de l’Europe ainsi qu’en Anatolie constituent aujourd’hui la moitié de la population Rrom européenne, et plus de la moitié des locuteurs du rromani. La deuxième moitié de la population est dispersée en Europe centrale, orientale et occidentale, en Russie et sur les autres continents. On estime entre dix et douze millions le nombre total de Rroms en Europe, et à trois millions celui dans les Amériques.

 

Le rromani est une langue indo-européenne de la branche indo-aryenne, parlée par environ cinq millions de personnes en Europe. On observe une césure entre la plupart des Rroms d’Europe centrale et orientale, qui parlent la langue rromani sous ses diverses variétés, et les Rroms d’Europe occidentale (Allemagne, France, Espagne, Royaume-Uni…) pour qui la transmission de la langue a été un véritable chemin de croix à cause des persécutions ciblées, voire a été abandonnée. De nombreuses familles ont soit renoncé à transmettre la langue, soit limité celle-ci à un certain nombre de mots. On parle de para-rromani pour les variétés d’anglais, d’espagnol… dont une partie du vocabulaire est d’origine rromani, mais dont la phonologie, la morphologie et la syntaxe sont bien celles de la langue dominante : c’est le cas du calò/kalo espagnol.

 

Dans de nombreux pays, des minorités marginalisées et/ou situées au bas de l’échelle sociale sont qualifiées de « tsiganes » par les non-Rroms : elles partagent avec les Rroms le fait d’être pauvres et/ou stigmatisées, mais non la culture et la langue. Tsigane est donc une étiquette qui correspond au regard porté de l’extérieur sur des minorités qui n’ont en commun que ce que veulent y voir le groupe majoritaire ou les autres minorités. On appelle cela un exonyme (du grec exo, extérieur, et nyme, nom). Au contraire, Rrom est une étiquette que se donnent les Rroms à eux-mêmes, Sinto l’étiquette que se donne le groupe Sinto, sous-groupe de Rroms, à lui-même, etc. On appelle cela un endonyme (du grec endo, intérieur). Certains groupes se sont parfois appropriés les exonymes et revendiquent des noms tels que tsigane – en réalité surtout lorsqu’ils renseignent des savants (ethnologues, linguistes, sociologues…) étrangers à la communauté, beaucoup plus rarement lorsqu’ils conversent entre eux. Si certains trouvent adéquat de nommer leur langue tsigane (ou préfèrent ne pas la nommer autrement) quand ils parlent de cette langue dans la langue majoritaire (par exemple en contexte bulgare, nommer la langue цигански, ciganski, en parlant en bulgare, et non ромски, romski), ils la nomment en revanche quasiment toujours rromanes ou rromani quand ils parlent en rromani.

 

Il existe de nombreux exonymes en fonction des époques et des régions, dont les plus répandus sont tsigane (Zigeuner, Cigan, Cigano) et gitan (Gypsy, Gitano, Yifti). L’origine du premier terme est discutée (soit du grec, soit du turc, mais avec des sens différents), le second provient d’égyptien car c’est de cette région, que l’on situait à différents endroit selon les époques, que l’on croyait que venaient les Rroms au Moyen-Âge.

 

Voici les principaux d’endonymes :

 

  • Rrom, qui signifie en rromani « homme » (mâle) adulte, d’où homme marié ou « mari ». Ce mot est employé en Europe de l’est et du sud-est.

  • Sinto, dont l’étymologie est discutée mais qui proviendrait soit du nom du Sindh, région du sud du Pakistan, soit d’un mot signifiant « cousin ». Ce mot est employé dans les pays de langue allemande et en Italie.

  • Manuś, qui signifie en rromani « être humain ». Ce mot est employé en France.

  • Kalo, qui signifie en rromani « noir ». Ce mot est employé dans l’Etat espagnol.

  • Romani śel, qui signifie en rromani « peuple rom ». Ce mot était employé en France et en Grande-Bretagne.

 

En France vivent entre 200 000 et 500 000 Roms – il est difficile d’établir un nombre exact car les statistiques d’ordre ethnique sont interdites par la constitution française. Ils sont beaucoup plus nombreux qu’on ne pourrait le croire ou que ne le croient les médias, pour la simple raison que la quasi-totalité d’entre eux sont des personnes tout à fait ordinaires et autochtones, mais non étrangères et exotiques.

 

La majorité des Rroms en France font partie des sous-groupes Mânouches, Sinte, et Gitans (dans le sud de la France notamment). Ils ne se reconnaissent d’ailleurs pas nécessairement sous le nom de Rrom, qui renvoie pour eux spécifiquement aux Rroms de l’est de l’Europe. Cependant, lorsqu’ils parlent encore une variété de la langue, ils la désignent eux aussi comme rromanes (littéralement « en romani », « à la manière rromani »), et elle partage elle aussi un vocabulaire et des structures communes, quelle que soit la variété qu’ils parlent, plus ou moins « mélangée » à la langue dominante locale. Tous les sous-groupes présents sur le territoire français depuis des siècles, aux histoires et trajectoires différentes, étaient souvent nommés bohémiens dans la langue populaire et dans la littérature jusqu’au XXe siècle, boumian en Provence. A partir de 1912, l’Etat a regroupé les bohémiens avec des non-Rroms exerçant des activités itinérantes sous une même appellation administrative, nomades – à l’aide d’un arsenal de lois et de règlements racistes et vexatoires. Bien longtemps après le génocide perpétré par ce même Etat pendant la Seconde Guerre Mondiale (et non encore assumé aujourd’hui), aussi bien contre les nomades français que les Rroms étrangers présents sur le territoire, les nomades sont devenus gens du voyage à partir de 1969. Une partie des Mânouches, Sinte et Gitans font partie des gens du voyage, mais une partie seulement – et ils représentent une minorité au sein des gens du voyage en question. C’est que GDV est en fait une catégorie administrative et non ethnique ; elle désigne un mode de vie et non un peuple. On y trouve donc par définition des gens différents, aux activités et aux origines très diverses.

 

L’autre partie des Rroms en France sont les descendants de nombreuses vagues successives de migration vers la France et l’ouest de l’Europe depuis le milieu du XIXe siècle : notamment depuis l’abolition de l’esclavage en Roumanie (1864), les migrations liées à la Révolution Industrielle (deuxième moitié du XIXe siècle), l’assouplissement des frontières yougoslaves pendant les Trentes Glorieuses françaises (années 1960), la fin de la dictature dans la plupart des pays d’Europe de l’Est (années 1990) et l’entrée dans l’Union Européenne de la plupart de ces mêmes pays (2004 et 2007). Ces Rroms venus de l’étranger ont d’abord été nommés tsiganes afin de les différencier des bohémiens locaux. Mais d’une part, les médias et les politiciens ont eu tôt fait de les mettre tous « dans le même sac » en les rendant tous exotiques et indésirables, depuis le début du XXe siècle et jusqu’à nos jours. Et d’autre part, les personnes issues de ces migrations ont en général toujours réussi à devenir des « gens normaux », c’est-à-dire à se faire oublier de ces mêmes médias et politiciens – donc à devenir aussi « locaux » et Français que les autres. Les Rroms migrants, une fois en France, ont en effet réussi à mener une vie décente en trouvant logement et travail, et en scolarisant leurs enfants, c’est-à-dire qu’ils ont fait comme les autres groupes en situation de migration. Il y a donc toujours eu une tension entre la manière de concevoir les Rroms, de les visibiliser et de les stigmatiser d’une part, et la réalité d’autre part.

 

La situation que l’on connaît depuis une vingtaine d’années est cependant exceptionnelle car l’effort conjugué de l’Etat, des médias et des ambitions politiques de certains, a eu pour effet d’empêcher ce schéma classique d’implantation et d’ « intégration ». Les Rroms les plus pauvres (et les plus visibles) sont contraints d’errer de bidonville et bidonville, d’expulsion en expulsion, sans pouvoir réaliser leur projet de vie comme leurs prédécesseurs. Eux qui étaient sédentaires depuis des générations sont dans les faits devenus « nomades » – et ainsi conforme aux stéréotypes, donc aux attentes, de l’imagerie populaire française. Cela se cristallise dans la loi d’exception imposée à la Roumanie et à la Bulgarie : lorsque elles sont entrées dans l’Union Européenne, la France a adopté une mesure transitoire d’interdiction de travail aux ressortissants de ces deux pays (et à eux seuls). Cette législation n’a été totalement levée qu’au 1er janvier 2014. Pour une petite histoire du racisme d’Etat en France, on pourra lire avec profit le livre de Liebig (2012). Il convient donc de garder en tête que les Rroms des bidonvilles actuels, étrangers (mais Européens et ressortissants de la même Union Européenne que les Italiens ou les Suédois), sans ressources voire misérables, ultra-médiatisés, ne représentent qu’une minorité de 15 000 personnes au maximum sur l’ensemble du territoire. Même si ce sont eux qui sont devenus les « Roms » prototypiques, incarnation des plusieurs centaines de milliers de Rroms (au sens large) vivant en France.

 

  1. Plurilinguisme

 

En 2015, les Rroms vivant dans la plus grande précarité et dans la ligne de mire de l’Etat français, ces fameuses 15 000 personnes, sont presque toujours originaires de Roumanie ou de Bulgarie. Comme tous les Rroms, ils sont au minimum bilingues, et ce dès leur plus jeune âge. Du fait qu’ils ne sont la population majoritaire d’aucun Etat, ils sont en effet tous amenés à manipuler dans leur vie quotidienne au moins une autre langue, ne serait-ce que la langue officielle de l’Etat où ils résident (qui n'est pas forcément celle parlée dans tel ou tel quartier, par les voisins, les amis, les collègues). En arrivant en France, ils n’ont donc pas qu’une seule langue sur laquelle s’appuyer pour acquérir le français, mais plusieurs. Les Rroms d’origine roumaine par exemple peuvent s’aider du roumain, dont une grande partie du vocabulaire est d’origine latine comme le français.

 

Les interrogations, stratégies ou erreurs diverses qui peuvent apparaître lors de l’apprentissage du français sont donc à saisir dans cette perspective de plurilinguisme. L’apprenant Rrom a plusieurs cordes à son arc et peut mobiliser à la fois le rromani (ou plusieurs variétés de rromani s’il en connaît plusieurs), la/les autres langue/s de sa région d’origine et les autres langues qu’il a pu apprendre au cours de sa vie (par exemple l’anglais à l’école). Cette diversité est une grande chance et une grande richesse. Pour l’enseignant de français, il faudra donc combiner la présente fiche « rromani » avec la fiche des autres langues connues de l’apprenant, par exemple la fiche « roumain », pour tenter de comprendre et de reconstituer la gymnastique mentale qu’opère l’apprenant, donc pour prévoir les difficultés que celui-ci peut connaître. Ainsi, une erreur de grammaire ou l’emploi d’un « faux-ami » peut tout aussi bien venir d’un transfert à partir du rromani que d’une autre langue (roumain, bulgare, anglais, serbe…), ou d’un mélange des deux, voire d’une innovation personnelle.

 

  1. L’écriture de la langue

 

La langue rromani est écrite depuis longtemps par des nom-Rroms désireux de transcrire des mots, listes de mots ou bribes de conversations : la première attestation du rromani remonte à 1515. Que les Rroms écrivent eux-mêmes dans leur langue est beaucoup plus récent, et commence au XXe siècle, à l’exception notable d’une lettre écrite par un Sinto allemand à sa femme en 1755. Pour un historique des attestations écrites du rromani, on pourra consulter l’article de Courthiade (2014).

 

La langue rromani n’a de statut officiel comme langue d’Etat qu’en République ex-yougoslave de Macédoine. Elle est en revanche enseignée dans de nombreux pays (Bulgarie, République Tchèque, Serbie…), surtout à l’école primaire mais pas seulement : en Roumanie par exemple, il est possible de faire l’ensemble de sa scolarité jusqu’au baccalauréat en rromani. Dans ce cas, la langue n’est pas seulement objet de l’enseignement, mais aussi son instrument. Dans la plupart des pays, les manuels scolaires sont écrits à l’aide de l’alphabet et des normes graphiques de la langue d’Etat, ce qui peut être troublant :

 

 

Roumanie

Bulgarie / Russie

Serbie / Macédoine

Albanie

Hongrie

« joli »

şujo

шужо

шужо / šužo

shuzho

 suzso

 

Rép. tchèque / Slovaquie

Pologne

France

Italie

Allemagne

Standard URI

šužo

szużo / szurzo

choujo

sciugio

schuscho

śuźo

 

Pour éviter la confusion et la dispersion graphique, et surtout pour faciliter la communication écrite entre Rroms de différents pays et traditions graphiques, une tentative de codification de l’écriture a été menée par l’Union Romani Internationale (URI). Elle a adopté un alphabet standard (latin) en 1990 au quatrième Congrès de Varsovie. Force est cependant de constater que ses recommandations ne sont suivies qu’en Roumanie et en France – deux pays-clé dans la mesure où il y est possible de suivre une formation à un niveau universitaire sur cette langue (licence et master).

 

Dans cette fiche, nous suivrons la graphie recommandée par l’URI. Les lettres suivantes diffèrent de la graphie française :

 

Lettre

Alphabet Phonétique International

Transcription française

Prononciation

c

[t͡s]

ts

comme dans tsigane, tsar

ć

[t͡ʃ]

tch

comme dans tchèque, Tchad

ś

[ʃ]

ch

comme dans chat, chemise

ź

[ʒ]

j

comme dans journée, jouet

ʒ

[d͡ʒ]

dj

comme dans Djibouti, Djakarta et, dans certaines variétés, comme un j simple (girafe)

j

[j]

y

comme dans yaourt, yoga

x

[x]

h dur

comme dans le ch allemand de Achtung, Bach

h

[h]

h aspiré

comme en anglais Hamlet

ph

[pʰ]

p aspiré

 

th

[tʰ]

t aspiré

 

kh

[kʰ]

k aspiré

 

ćh

[t͡ʃʰ]

tch suivi d'une aspiration

(prononcé dans certaines variétés comme un ch simple mouillé : chignon)

r

[ɾ]

r roulé

comme en italien Roma, en espagnol Madrid.

rr

[r], [ɾ], [ɽ], [x], [ʁ]

r roulé dur

(prononcé selon les variétés comme un r roulé, comme un r roulé long, comme une rétroflexe, un x ou comme un r français)

ǎ

[ja]

ya

comme dans maya

ě

[je]

ye

comme dans maillet

ǐ

[ji]

yi

comme dans cueillir

ǒ

[jo]

yo

comme dans maillot

ǔ

[ju]

you

comme dans youpi

θ

[d], [t]

d après un n t partout ailleurs

manuśenθe "chez les humains" = manouchèn'dé laθe "chez elle" = laté

q

[g], [k]

g après un n k partout ailleurs

manuśenqe "pour les humains" = manouchèn'g'é kasqe "pour qui" = kaské

ç

[t͡s], [s]

ts après un n s partout ailleurs

manuśença "avec les humains" = manouchèn'tsa tuça "avec toi" = tousa

L'accent grave sur une voyelle (à è ì ò ù) indique que celle-ci est accentuée (autrement, l'accent est mis habituellement sur la dernière syllabe du mot, comme en français). Les trémas sur une voyelle (ä, ë, ï) indiquent que la prononciation de celle-ci diffère de celle des autres variétés.

Les phrases citées en exemple ici sont toutes des phrases ayant été réellement prononcées, issues soit de notre corpus personnel de nos propres enregistrements (rromani d’Albanie collecté en 2013 et 2014), soit de ceux d’autres personnes qui les ont transcrits et publiés : rromani de Roumanie (Boretzky 1994 et Cioabă 2006), rromani de Grèce (Igla 1996). Nous avons donc choisi de mettre l’accent sur les variétés balkaniques, dans l’optique de la migration propre au projet.

 

  1. Les différentes classes de mots

 

  1. … du groupe nominal

 

  1. Le nom

 

Le rromani présente les catégories nominales suivantes :

 

Genre :

féminin

masculin

 

Nombre :

singulier

pluriel

 

Cas :

direct

oblique

vocatif

 

Genre

 

Si le nombre fonctionne comme en français (singulier / pluriel), le genre est distribué différemment du français :

 

dand (M)

iv (M)

drom (M)

jag (F)

balval (F)

ćhurik (F)

dent (F)

glace (F)

route (F)

feu (M)

vent (M)

couteau (M)

 

Excepté quand il est déductible de la réalité pour les êtres animés (guruv, taureau, bœuf / guruvni, vache), le genre est arbitraire et demande donc un effort spécifique d’apprentissage.

 

Flexion : I

 

Le rromani présente une flexion de type fusionnel, c’est-à-dire des cas morphologiques. Selon leur fonction dans la phrase, les éléments du groupe nominal (déterminants, adjectifs, noms, pronoms) vont présenter des formes différentes. On parle de cas pour désigner ces fonctions. Le genre, le nombre et le cas se combinent :

 

Féminin singulier

Féminin pluriel

Cas direct

rromni

rromnǎ

Cas oblique

rromnǎ

rromnǎn

Vocatif

rromnie

rromnǎlen

rromni : femme

 

 

Masculin singulier

Masculin pluriel

Cas direct

rrom

rroma

Cas oblique

rrome(s)

rromen

Vocatif

rromea

rromalen

rrom : homme

 

Le cas vocatif s’utilise pour interpeler :

 

Ćhajorr-ije

śukar-ije!

petite_fille-f.sg.voc

beau-f.sg.voc

« Belle jeune fille ! »

 

Hajde

Rrom-alen!

Allez

Rrom-m.pl.voc

« Allez les Rroms ! »

 

Le cas oblique (nommé accusatif ou cas B dans les grammaires) s’utilise uniquement pour fléchir l’objet des verbes… lorsque cet objet est un être humain ou certains animaux considérés comme « nobles », tels que le cheval ou le mouton, mais pas la fourmi. Cette considération dépend des variétés et peut faire l’objet de nombreuses nuances : un poisson peut être considéré comme noble dans la rivière, mais plus une fois qu’il est dans l’assiette.

 

O

Del

te

jertil

t-e

dad-es.

le

Dieu

que

il pardonne

ton-m.sg.obl

père-m.sg.obl

« Que Dieu pardonne ton père. »

 

Line

le

grast-en.

Ils ont pris

les.m.pl.obl

cheval-m.pl.obl

« Ils ont pris les chevaux. »

 

Dans tous les autres contextes (sujet d’un verbe, objet non-noble d’un verbe, après une préposition), on utilise le cas direct (nommé nominatif ou cas A dans les grammaires) :

 

Kana

avilo

dad?

Quand

est_venu

ton

père

« Quand est-ce que ton père est arrivé ? »

 

Pekasas

le

kolompìrǎ.

Nous cuisions

les

pommes de terre

« On cuisait les pommes de terre. »

 

Ʒasas

and

o

gav.

Nous allions

dans

le

village

« On allait au village. »

 

Flexion : II

 

 

En outre, le rromani présente un deuxième système de flexion, de type agglutinant, c’est-à-dire une série de suffixes de cas invariables en genre et en nombre. Ils sont un héritage indien et sont nommés postpositions en linguistique indienne. Ils viennent s’adjoindre au nom ou pronom au cas oblique :

 

 

Féminin singulier

Féminin pluriel

Cas oblique

rromnǎ

rromnǎn

Génitif

rromnǎq(er)o/q(er)i/q(er)e

rromnǎnq(er)o/q(er)i/q(er)e

Datif

rromnǎqe

rromnǎnqe

Locatif

rromnǎθe

rromnǎnθe

Ablatif

rromnǎθar

rromnǎnθar

Instrumental

rromnǎça(r)

rromnǎnça(r)

rromni : femme

 

 

Féminin singulier

Féminin pluriel

Cas oblique

rrome(s)

rromen

Génitif

rromesq(er)o/q(er)i/q(er)e

rromenq(er)o/q(er)i/q(er)e

Datif

rromesqe

rromenqe

Locatif

rromesθe

rromenθe

Ablatif

rromesθar

rromenθar

Instrumental

rromeça(r)

rromença(r)

rrom : homme

 

Le rromani présente donc les mêmes catégories de genre et de nombre que le français, mais un riche système de flexion absent en français. Le français « compense » cette absence de flexion par deux moyens : un ordre des mots rigides qui indique la fonction des mots dans la phrase (cf. infra) et un riche système de prépositions.

 

Prépositions

 

Le fait d’utiliser des prépositions au lieu de mots fléchis (préposition avec au lieu du cas instrumental, par exemple) ne pose pas de problème à l’apprenant, car le rromani connaît lui aussi de nombreuses prépositions, telles que :

 

an(d)-

k-

p-

tel-

maśkar

pal-

angl-

bi

dans

à

sur

sous

entre

après

avant

sans

 

Notons que les prépositions monosyllabiques voire monoconsonantiques fusionnent avec l’article défini :

 

k

+

o

>

ko

à

+

le

>

« au »

 

k

+

i

>

ki

à

+

la

 

« à la »

 

On peut s’appuyer sur cette similitude pour acquérir les prépositions contractées du français au et du – à ceci près qu’il n’y a pas de changement phonétique lors de la contraction en rromani. 

 

Du point de vue de l’apprenant, on peut dire que les formes flexionnelles du rromani ont les équivalents suivants en français, soit syntaxiques (place dans la phrase), soit lexicaux (préposition) :

 

Rromani

Français

Cas direct

ø (systématiquement avant le verbe pour le sujet, après le verbe pour l’objet)

Cas oblique

Position systématiquement après le verbe – la nature animée ou non de l’objet ne joue aucun rôle

Vocatif

Ø

Génitif

Groupe introduit par une préposition (de) et placé systématiquement après le nom

Datif

Groupe introduit par une préposition (à/pour) et placé systématiquement après le verbe

Locatif

Groupe introduit par une préposition (à/dans…)

Ablatif

Groupe introduit par une préposition (de…)

Instrumental

Groupe introduit par une préposition (avec)

 

  1. Les déterminants

 

Article défini

 

Le rromani présente un article défini qui connaît les mêmes catégories que le nom (genre, nombre, cas). On observe une grande variation en fonction des dialectes :

 

 

Singulier

Pluriel

 

Féminin

Masculin

[Fém=Masc]

Cas direct

e/i

o

e/le/o

Cas oblique

e/la

e

e/le

 

Il se place avant le nom et s’emploie de manière obligatoire, comme en français. L’article est même plus obligatoire qu’en français, dans la mesure où tous les noms, même propres, doivent en être accompagnés :

 

i birovli

o sap

i luludi

o gono

i Franca

o Bukureśt

o Mihail

i Cristina

o Del

l’abeille

le cheval

la fleur

le sac

la France

Bucarest

Michel

Christine

Dieu

 

Article indéfini

 

Le rromani connaît en outre un article indéfini, dérivé, comme en français, du numéral un : jekh. Il se fléchit en genre et en cas. Cependant il n’existe pas d’article indéfini pluriel équivalent du français des, ou plutôt, cet article pluriel est zéro :

 

ćhuvasa

len-qe

ø

piperi,

ø

puruma…

nous mettons

3pl.obl-dat

 

poivrons

 

oignons

« On y ajoute des poivrons, des oignons… »

 

Les apprenants auront tendance, au début, à omettre l’indéfini pluriel en français.

 

Notons que certains Rroms de Roumanie et Hongrie utilisent un article pluriel (v)ùni emprunté au roumain, où uni signifie des, certains, quelques, ou bien niśte, lui aussi emprunté au roumain nişte de même sens, qui s’utilise comme le des français :

 

Tidasas

niśte

patrǒrra.

nous ramassions

des

petites feuilles

« On ramassait des feuilles (mortes). »

 

Il n’existe pas non plus d’article pour exprimer l’indénombrable ou le partitif :

 

Tidasas

ø

kukurùzo

śuko.

nous ramassions

 

maïs

sec

« On ramassait du maïs séché. »

 

Anasas

amen-qe

po

ëkh

tǐlo

ø

arro.

nous apportions

1pl.obl-dat

chacun

un

kilo

 

farine

« On rapportait chacun un kilo de farine. »

 

Les apprenants auront là aussi tendance, au début, à omettre l’article partitif en français.

 

Démonstratif et possessif

 

Le rromani présente un système de démonstratifs beaucoup plus complexe que celui du français, avec quatre termes qui encodent la présence ou absence du référent et son degré de spécificité. Les possessifs en revanche fonctionnent comme ceux du français. Démonstratifs et possessifs sont fléchis en genre, nombre et cas.

 

Leur syntaxe est plus compliquée, à cause de l’influence du contact de langue (grec et roumain dans ce cas). Ils peuvent être soit simplement placés avant le nom, comme en français, soit se combiner avec l’article défini, notamment dans les variétés des Balkans :

 

murro

pàpo

 

mien

grand-père

 

o

pàpo

murro

le

grand-père

mien

o

murro

pàpo

le

mien

grand-père

« mon grand-père »

 

kodova

fìlmo

 

celui-là

film

 

o

fìlmo

kodova

le

film

celui-là

o

kodova

fìlmo

le

celui-là

film

« ce film-là »

 

Il est possible que des apprenants calquent ces structures complexes sur le français, mais dans la mesure où la structure simple (avec le possessif ou le démonstratif seuls) existe dans les deux langues, ils n’ont pas de mal à utiliser ces déterminants en français.

 

  1. L’adjectif

 

Morphologie

 

Comme le roumain, le latin ou l’italien, le rromani connaît deux classes d’adjectifs, ceux qui distinguent le genre à la fois au singulier et au pluriel, et ceux qui ne le font pas (ne distinguent pas le genre mais seulement le nombre). Comme le rromani a perdu la distinction de genre au pluriel pour les déterminants, les adjectifs et les pronoms, on obtient le système suivant :

 

 

 

Classe I

Classe II

Singulier

Masculin

baro

aver « autre »

 

Féminin

bari « grand »

Pluriel

Pluriel

bare

avera

 

Féminin

 

Comme en français, c’est la classe I qui est la plus répandue. Le modèle est donc très similaire à celui du français :

 

 

 

Classe I

Classe II

Singulier

Masculin

bon

rouge

 

Féminin

bonne

Pluriel

Pluriel

bons

rouges

 

Féminin

bonnes

 

Syntaxe

 

L’adjectif est placé soit avant le nom :

 

vaś

e

avutne

generàcje

pour

les

futures

générations

« pour les générations à venir »

 

Kerdǎ

ekh

baro

ćhavo.

a fait

un

grand

garçon

« Elle a accouché d’un grand garçon. »

(on constate qu’ici la locutrice n’a pas utilisé le cas oblique)

 

… soit après le nom :

 

Si

len

plànuri

bare.

Il est

3pl.obl

plans

grands

« Ils ont de grands projets. »

 

Akale

barisajle

t-o

amalinǎ

vavera.

Celles-ci

ont grandi

à-les

amies

autres

« Elles ont grandi auprès des autres amies. »

 

 

La place de l’adjectif est très variable et dépend du contexte d’énonciation. A l’origine, l’adjectif est préposé en rromani comme dans les autres langues indo-aryennes. En Europe, sous l’influence de langues qui postposent souvent l’adjectif (comme le roumain, l’italien, l’albanais, et bien sûr le français), le rromani tend à faire de même et à postposer la plupart de ses adjectifs. Heureusement, les adjectifs volontiers préposés en rromani sont globalement les mêmes qu’en français : baro (grand), tikno (petit), laćho (bon)…

 

Enfin, une structure particulière aux langues des Balkans, notamment au rromani et au grec, consiste à dupliquer l’article défini lorsque l’adjectif est postposé :

 

le

ćheja

le

bare

les

filles

les

grandes

« les grandes filles »

 

Cette structure est optionnelle et ne s’emploie que dans certains contextes :

 

Me

biandilom

ando

kheɾ

odothe,

kaj

si

akana

o

lokàli

o

baro

1sg

suis née

dans le

house

il est

maintenant

le

café

le

grand

« Je suis née dans la maison là-bas, où il y a maintenant le grand café. »

 

Dans certaines variétés de Roumanie, cette structure tend presque à remplacer la postposition simple de l’adjectif (sans réduplication de l’article). Tout porte à croire qu’elle ne pose pas de problème de compréhension si elle est calquée en français, car elle est alors perçue comme une apposition – même si l’intonation est en réalité différente :

 

les

filles

 

les

grandes

 

entendu comme

les

filles

,

les

grandes

,

 

Degrés de l’adjectif

 

L’adjectif peut se mettre au comparatif de la même manière qu’en français, en utilisant une particule maj « plus » (ou po dans certaines variétés), que l’on met avant l’adjectif :

 

Semas

maj

terni.

J’étais

plus

jeune

« J’étais plus jeune. »

 

Duj

maj

cinorre

ćhavorre

sas

len.

deux

plus

tout_petits

petits enfants

était

3pl.obl

« Ils avaient deux plus petits enfants. »

 

Le superlatif se forme lui aussi en ajoutant l’article défini avant la particule et l’adjectif :

 

Vov

si

o

maj

phuro.

3sg

est

le

plus

vieux

« Lui c’est le plus vieux. »

 

Wow

si

o

manuś

o

maj

phuro.

3sg

est

le

homme

le

plus

vieux

« C’est l’homme le plus vieux. »

 

On voit que le français ne pose pas de problème sur ce plan. Le complément du superlatif est introduit soit par une préposition, soit par une postposition :

 

Vov

si

o

maj

phuro

katar

i

famìlia

3sg

est

le

plus

vieux

venant de

la

famille

 

ø

e

familià-θar

 

 

venant de

famille-abl

« Lui c’est le plus vieux de la famille. »

 

Certaines variétés ont conservé, pour certains adjectifs, l’ancien comparatif synthétique : il consiste à ajouter à l’adjectif le suffixe -eder (qui a la même origine que la finale des adjectifs français meilleur, supérieur, anciens comparatifs synthétiques) :

 

phur-o

>

phur-eder

vieux

 

plus vieux

 

  1. Le pronom

 

Morphologie

 

Le rromani présente six personnes et un pronom réfléchi de troisième personne, comme le français :

 

 

 

Cas direct

Cas oblique

Singulier

1

me

ma(n)

 

2

tu

tut

 

3

(v)ov, (v)oj

le(s), la

 

Réfléchi

pe(s)

Pluriel

1

ame(n)

amen

 

2

tume(n)

tumen

 

3

(v)on

len

 

Réfléchi

pe(n)

 

Les sons indiqués entre parenthèses au cas direct correspondent à des différences dialectales : la troisième personne du pluriel est on, von, ou même jon en fonction des régions et des groupes. Au cas oblique, la dernière consonne peut être omise, surtout lorsque le pronom est « faible » (cf. infra).

 

Comme le nom, le pronom peut être accompagné d’une postposition qui se fixe sur la forme oblique de celui-ci :

 

man

-çar

1sg.obl

-instr

« avec moi »

 

Le pronom qui suit une préposition n’est en revanche jamais au cas direct, comme c’est le cas pour les noms et comme c’est le cas en français. Il prend le suffixe du locatif ou du datif en fonction des variétés :

 

Sas

angla’

amen-θe.

Il était

devant

1pl.obl-loc

« Il était devant nous. »

 

Pronom réfléchi

 

Le rromani présente des verbes pronominaux. Il utilise le pronom réfléchi pour les verbes réciproques, comme le français :

 

Maren

pen.

Ils battent

refl.pl

« Ils se battent ».

 

Les verbes réfléchis présentent le pronom objet au cas oblique aux première et deuxième personnes, le pronom réfléchi à la troisième personne – comme c’est le cas en français :

 

Thovav

man.

 

 

 

Thovel

pe.

Je lave

1sg.obl

 

 

 

Il lave

refl.sg

« Je me lave »

 

 

 

« Il se lave ».

 

Dans certaines variétés, sous l’influence des langues de contact (par exemple le serbe), l’utilisation du pronom réfléchi a été étendue à toutes les personnes lorsque le sens du verbe est réfléchi :

 

Thovav

pe.

 

 

 

Thoves

pe.

 

 

 

Thovel

pe.

Je lave

refl.sg

 

 

 

Tu laves

refl.sg

 

 

 

Il lave

refl.sg

« Je me lave. »

 

 

 

« Tu te laves »

 

 

 

« Il se lave ».

 

Cela pourrait amener l’apprenant à généraliser l’emploi du réfléchi se à toutes les personnes en français.

 

Attention, il arrive que les les verbes pronominaux du français et du rromani ne se correspondent pas : 

 

Lel

pe

o

tërno

raklorro.

prend

refl.sg

le

jeune

jeune garçon non-rrom

« Le jeune garçon part. » (= se met en chemin)

 

Pronom sujet

 

Le pronom sujet n’est en général pas exprimé : on dit qu’il est implicite. C’est une différence majeure avec le français, mais un point commun de nombreuses langues d’Europe (roumain, espagnol, langues slaves…). Le pronom peut se permettre d’être facultatif car la personne est déjà indiquée sur le verbe grâce à la désinence finale :

 

So

ka

ker-as?

ø

quoi

fut

faire-1pl

 

« Qu’est-ce qu’on va faire ? »

 

Il est donc possible que les apprenants soient amenés à omettre le pronom sujet en français.

 

Si le sujet est exprimé, c’est qu’il y a une insistance sur lui, rendue en français par l’ajout du pronom fort :

 

So

ka

keras

amen?

quoi

fut

nous faisons

1pl

« Qu’est-ce qu’on va faire, nous ? »

« Nous, qu’est-ce qu’on va faire ? »

 

Comme le sujet nominal d’une manière générale (cf. infra), le sujet pronominal est placé de façon « libre » dans la phrase, mais de préférence avant le verbe si celui-ci est transitif, après le verbe si celui-ci est intransitif ou dans une structure interrogative.

 

Pronom objet

 

Le pronom objet est en général placé après le verbe :

 

Haj

ći

maj

dikhlǎn

les?

et

neg

plus

tu as vu

3sg.m.obl

« Et tu ne l’as plus revu ? »

 

Dans certaines variétés, un pronom objet est utilisé pour redoubler un objet exprimé dans la même phrase, dans certains contextes :

 

I

tikni…

ćhudas

la

t-o

kazàni

an’re,

e

tikn-a.

la

petite

il a jeté

3sg.f.obl

dans-le

chaudron

dedans

la.f.sg.obl

petit-f.sg.obl

« La petite… il [le vampire] l’a jetée dans la marmite, la petite. »

 

Cette structure est facultative en rromani – de même qu’en français où elle existe aussi dans le langage oral, comme dans l’exemple.

 

Il est en revanche très fréquent que le pronom objet de la tournure signifiant « avoir » (cf. infra) soit redoublé :

 

Len

nas

le

rromn-ǎn.

3pl.obl

il n’était pas

3pl.obl

femme-f.pl.obl

« Ils n’avaient pas d’épouses. »

 

On remarque que dans ce cas, le premier pronom est « entier » ou « fort », len, tandis que le second est « faible », volontiers amputé de sa consonne finale (dans certaines variétés ma’, tu’, le’, ame’, tume’, le’) et inaccentué, le. Ce redoublement est lui aussi facultatif.

 

Mais le rromani ne présente pas de vrai système de pronom fort et faibles comme le français. Il n’existe qu’un type de pronom, fléchi aux différents cas, ici le datif :

 

Phenav

tu-qe

odova

Je dis

2sg-dat

cela

« Je te le dis. »

 

Phenav

odova

*ke/an/pe tu-θe / tu-qe

Je dis

cela

*à/dans/sur 2sg-loc / 2sg-dat

« Je le dis à toi. »

« Je te le dis à toi. »

 

Ce sera donc un point sur lequel se concentrer pour l’acquisition du français.

 

Placer le ou les pronoms objet avant le verbe, et dans le bon ordre s’il y en a plusieurs, requiert également un effort particulier de l’apprenant :

 

Je t’apporte ça demain. [*J’apporte te ça demain.] [J’apporte ça à toi demain.]

Mais pourquoi il me l’a pas dit avant ? [*Mais pourquoi il le me a pas dit avant?]

Le terroir d'Ardèche doit tout à la châtaigne et il le lui rend bien.

 

Enfin, un redoublement de l’objet a lieu en contexte de propositions relatives lorsque l’antécédent a la fonction d’objet dans la relative :

 

Thol

o

kùferi

kodo

kaj

les

katar

o

rrom

majntì,

thol

les

and-o

vurdon.

Il met

le

valise

ce

rel

il a pris

3sg.m.obl

de

le

homme

en premier

il met

3sg.m.obl

dans-le

voiture

« Il met la valise qu’il a prise à l’homme auparavant, il la met dans la voiture. »

 

On parle de « pronom résomptif » pour désigner ce pronom personnel oblique qui répète l’antécédent dans la relative, si celui-ci n’est pas sujet.

Cette pratique est très courante dans les Balkans, et amène des transpositions systématiques du type : *cette voiture que je l’ai achetée, *le téléphone que je l’ai cassé. Ces tournures existent cependant dans certaines variétés populaires.

 

Datif « éthique »

 

En rromani, comme en roumain, le datif peut servir à exprimer l’intérêt d’une personne pour l’action exprimée – intérêt sur le plan personnel, émotionnel, ou simplement à des fins expressives. Il ne sert donc pas seulement à exprimer le complément d’objet indirect.

 

Mangav

te

kerav

man-qe

but

ćhaen.

Je veux

que

je fais

1sg-dat

beaucoup

enfants

« Je voudrais avoir beaucoup d’enfants. »

 

Ka

aśunas

amen-qe

e

neve

gila.

fut

nous écoutons

1pl-dat

les

nouvelles

chansons

« On va écouter les nouvelles chansons. »

 

Le français connaît un usage semblable, mais limité à la langue familière :

 

On va s’écouter les nouvelles chansons.

J’nous ai loué un bon petit film à regarder ce soir.

 

Xalem

man-qe

ekh

śukar

pìca.

 

J’ai mangé

1sg-dat

une

bonne

pizza

 

« Je me suis mangée une bonne pizza. »

 

… et aux parties du corps (dites « inaliénables ») :

 

Je me suis coupée la main.

 

Au contraire, le rromani, comme l’anglais, utilise pour les parties du corps un possessif :

 

Śindem

murro

vas.

J’ai coupé

mon

main

« Je me suis coupée la main. »

« I cut my hand. »

 

Les locuteurs pourront avoir tendance à produire des rromanismes du type :

 

*J’ai cassé mon pied. (pour : je me suis cassée le pied)

*J’ai envie de me danser. (pour : j’ai envie de danser)

 

On

 

Le rromani n’a pas de pronom « on ».

 

En français, on a plusieurs valeurs : dans la langue courante, il a remplacé la première personne du pluriel nous. Le rromani utilise quant à lui nous, la première personne du pluriel (pronom amen) et fléchit le verbe à cette personne :

 

So

ka

ker-as

(amen)

akana?

quoi

fut

faire-1pl

(1pl)

maintenant

« qu’est-ce qu’on va faire (, nous) maintenant ? »

 

Avant de l’acquérir, le locuteur pourrait utiliser le pronom nous équivalent du rromani amen, cependant c’est peu probable car nous ne se rencontre jamais dans la vie courante à l’oral en position sujet. C’est tout le paradigme qui pose problème en français, car il est un patchwork de pronoms de première du pluriel, de troisième du singulier et de réfléchis :

 

Français

Rromani

sujet faible

on

On arrivera à 5 heures.

amen

sujet fort

nous

Nous, on arrivera à 5 heures.

amen

objet direct

nous

Mais laisse nous entrer !

amen

objet indirect

nous / à nous

Il nous a dit d’accord.

amenqe

Réciproque

se

On se voit demain ?

pe

réfléchi direct & indirect

se

Alors on se couche tard ce soir!

Bon, on va pas se mentir…

amen/pe

 

On peut aussi avoir une valeur de pronom indéfini pluriel : « les gens », « tout le monde »… dans ce cas, le rromani utilise soit la deuxième personne du singulier :

 

Ka

l-es

o

varro,

ka

ker-es

xumer,

ka

ćhuv-es

anre.

fut

prendre-2sg

le

farine

fut

faire-2sg

pâte

fut

mettre-2sg

oeufs

« On prend la farine, on en fait de la pâte, on met des œufs. »

 

… soit la première personne du pluriel :

 

L-as

o

varro,

ućhan-às-a

les,

t-i

sìta,

em

ćhuv-às-a

les

t-i

tepsìa.

prendre-1pl-encl

le

farine

tamiser-1pl-encl

3sg.m.obl

à-la

tamis

et

mettre-1pl-encl

3sg.m.obl

à-la

tamis

« On prend la farine, on la tamise, dans le tamis, et on la met dans le moule. »

 

… soit la troisième personne du pluriel :

 

o

manyqyri

kaj

makhèna

pe

naja.

le

vernis à ongles

rel

ils teignent

poss.refl.pl

ongles

« le vernis à ongles avec lequel on se teint les ongles. »

 

… soit le verbe à la troisième personne du singulier avec pronom réfléchi :

 

o

anomos

si

bući

kaj

kerel

pe.

le

étamage

il est

travail

qui

il fait

refl.sg

« L’étamage c’est un travail qu’on fait. » (litt. qui se fait)

 

La transposition, en français, de la seconde personne du singulier ne pose pas de problème car elle existe aussi à l’oral en français :

 

Dans ces cas-là, tu fais super attention parce que tu veux pas tomber !

 

 

Il

 

Le il impersonnel du français n’existe pas non plus en rromani, qui emploie pour cela un verbe à la troisième personnel du singulier, où le sujet n’est pas exprimé :

 

Del

brśind.

il donne

pluie

« Il pleut. »

 

Haj

so

sas

othe?

et

quoi

il était

là-bas

« Et qu’est-ce qu’il y avait là-bas ? »

 

Sas

miśto

te

avel

kadowa

muzèo

kërdo?

il était

bien

que

il devient

ce

musée

fait

« Ce/il serait bien si on pouvait faire ce musée ? »

 

Y, en

 

Le rromani ne connaît pas les pronoms adverbiaux en et y du français. Y correspond à des adverbes de lieu précis tels que ici ou , ou à rien du tout dans les expressions telles que j’y vais. Il n’a pas non plus d’équivalent de en, sauf dans l’expression s’en aller, dans les variétés de Roumanie :

 

Źal tar

o

gaźo

haj

însuril

pe

khë

gaź-a-ça.

il s’en va

le

non-Rrom

et

il se marie

refl.sg

un.f.obl

non-rrom-f.sg.obl-instr

« L’homme s’en va et se marie avec une femme. »

 

Il s’agit en fait du verbe aller suivi de la particule ablative -θar.

 

Ces pronoms particuliers au français, et les expressions figées qui leur sont associées, devront donc faire l’objet d’un apprentissage spécifique.

 

  1. … du groupe verbal

 

  1. Le verbe

 

Morphologie

 

Si le système nominal du rromani est bien plus complexe que le système français, on peut dire que c’est l’inverse du côté du verbe, le rromani est plus simple. Il a surtout beaucoup moins de verbes irréguliers. L’ensemble du système verbal fonctionne de manière binaire en fonction des catégories suivantes :

 

Radical

Série de désinence

Temps de base

Voix

Types de verbe

du présent

du présent

présent

active

I. -el

du passé

du passé

passé

passive

II. -al

 

Le radical du présent sert à conjuguer le présent, le futur et l’imparfait. En revanche, le radical du passé sert à former le passé du type I, la voix passive et le participe passé passif.

 

De même qu’il existe en français trois « groupes » de conjugaison (I. verbes en –er type manger ; II. verbes en –ir type finir ; III. verbes en –ir type dormir + verbes irréguliers), il existe en rromani deux « groupes » : I. verbes –el type « aimer » ; II. verbes en –al type « rire ». Ils sont ainsi désignés d’après la désinence de la troisième personne du singulier. Notons cependant que les verbes du type II sont en nombre très limité, il n’en existe qu’une vingtaine, presque tous intransitifs – à l’exception notable de xal, manger, et exprimant souvent des émotions (rire, avoir peur, oser). Lorsqu’un verbe est emprunté, il est intégré au type I à l’aide d’un infixe qui varie en fonction des variétés (-isar, -iz, -in, -on…).

 

Nous avons vu que le rromani présente six personnes : le verbe se fléchit en fonction de la personne, comme en français.

 

Présent

 

 

 

I. aimer

 

 

 

II. rire

Singulier

1

kamav

 

Singulier

1

asav

 

2

kames

 

 

2

asas

 

3

kamel

 

 

3

asal

Pluriel

1

kamas

 

Pluriel

1

asas

 

2

kamen

 

 

2

asan

 

3

kamen

 

 

3

asan

 

 

 

I. voter

 

 

 

 

 

 

Singulier

1

vot-isar-av

>

votiv

 

vot-in-av

 

vot-on-av

 

2

vot-isar-es

>

votis

 

vot-in-es

 

vot-on-es

 

3

vot-isar-el

>

votil

 

vot-in-el

 

vot-on-el

Pluriel

1

vot-isar-as

>

votis

 

vot-in-as

 

vot-on-as

 

2

vot-isar-en

>

votin

 

vot-in-en

 

vot-on-en

 

3

vot-isar-en

>

votin

 

vot-in-en

 

vot-on-en

 

 

Passé

 

Le radical du passé est constitué de la racine (kam, phag, …) et d’une consonne (l, d, ø) qui varie en fonction du son qui la précède :

 

vouloir

casser

ouvrir

dire

cuire

endormir

kaml-

phagl-

putard-

phend-

pek-

sut-

 

Le rromani ne connaît pas de verbes vraiment irréguliers, mais les quelques irrégularités que l’on peut recenser se trouvent justement au niveau du radical du passé, lorsqu’il diffère de celui du présent et ne prend pas de consonne supplémentaire :

 

 

aller

donner

prendre

mourir

tomber

Radical du présent

ʒ-

d-

l-

mer-

per-

Radical du passé

gel- / ʒel-

di(n)-

li(n)-

mul-

pel-

 

Le paradigme est le suivant :

 

 

 

vouloir, aimer

 

 

 

rire

 

Singulier

1

kamlem kamlom

 

Singulier

1

asajem

asandilǒm

 

2

kamlan

 

 

2

asajan

asandilǎn

 

3

kamlas kamlo/i/e

 

 

3

asajas

asandilǎs

Pluriel

1

kamlam

 

Pluriel

1

asajam

asandilǎm

 

2

kamlen

 

 

2

asajen

asandilen

 

3

kamle

 

 

3

asaje

asandile

 

Il existe deux paradigmes possibles ici en fonction des variétés : nous avons mis ici en premier la forme qui est la plus fréquente en Roumanie (kamlem et asajem).

 

Ce passé revêt la valeur du passé composé et du passé simple français, il s’agit d’un passé accompli.

 

Futur

 

 

 

I. aimer

 

Singulier

1

ka kamav

kamàva

 

2

ka kames

kamèsa

 

3

ka kamel

kamèla

Pluriel

1

ka kamas

kamàsa

 

2

ka kamen

kamèna

 

3

ka kamen

kamèna

 

Le futur se forme soit à l’aide d’un préfixe ka (issu de kamav, vouloir/aimer), soit à l’aide d’un suffixe invariable -a inaccentué qui s’adjoint aux formes conjuguées du présent. Ces formes correspondent à la fois au futur simple synthétique du français (je voudrai) et au futur périphrastique (je vais vouloir).

 

La première solution est globalement préférée au sud du Danube, la deuxième solution au nord de celui-ci.

 

Notons que les formes de la deuxième solution existent aussi au sud du Danube, mais sans le sens de futur ; elles ont un sens de présent et varient avec les formes sans -a final. Dans certaines variétés, ce -a peut avoir un sens de conditionnel. Notons enfin que, si le préfixe futur ka- provient du verbe « vouloir » comme c’est le cas dans les autres langues des Balkans (grec, albanais, macédonien, bulgare, roumain, serbo-croate…), il est tout à fait grammaticalisé, c’est-à-dire qu’il a perdu son sens de volition. Il ne risque donc pas d’amener des erreurs de construction ou d’interprétation en français (« je veux voir » pour « je verrai »).

 

Imparfait et plus-que-parfait

 

L’imparfait français se construit en ajoutant le suffixe invariable -sas, -sa, -as ou -sine inaccentué qui s’adjoint aux formes conjuguées du présent. Cela ressemble, en synchronie, aux formes de troisième personne du verbe être au passé (cf. infra), qui forme donc une sorte d’auxiliaire-particule, invariable et postposé au verbe. Le plus-que-parfait se construit à l’aide du même « suffixe », qui s’adjoint cette fois aux formes conjuguées au passé.

 

Na

ʒan-àv-sas

ʒan-àv-sa

ʒan-àv-as

neg

savoir-1sg-imp

« Je savais pas. »

 

L’imparfait et le plus-que-parfait sont cependant peu usités, et n’ont pas exactement les mêmes valeurs qu’en français. On peut dire qu’ils ont une valeur aspectuelle imperfective pour le passé proche et le passé lointain.

 

Le paradigme de désinences de l’imparfait en français est donc une particularité à acquérir.

 

Les modes qui n’existent pas

 

L’équivalent du français que + subjonctif est la conjonction de subordination te + le verbe conjugué à l’indicatif. Il n’y a donc pas de subjonctif en rromani :

 

Trubul

te

lonȝar-av

xanć

maj

but.

Il faut

que

saler-1sg

un peu

plus

beaucoup

« Il faut que je sale un peu plus. »

 

L’ensemble du subjonctif, formes, emplois, valeurs, est donc totalement nouveau par rapport au rromani, et requiert donc une attention particulière.

 

Il n’existe pas non plus d’infinitif en rromani – pas plus que dans les autres langues des Balkans (grec, albanais, bulgare, macédonien, roumain, serbe du sud). Là où le français emploie un infinitif, le rromani emploie un verbe conjugué (sans le suffixe enclitique -a) :

 

Naśti

te

sov-av.

impossible

que

dormir-1sg

« Je ne peux pas dormir. »

 

Kamlem

te

ʒav tar

andar

o

kodova

gav.

J’ai voulu

que

je m’en vais

à partir de

le

ce

village.

« J’ai voulu quitter ce village. »

 

Nas

amen

kaj

te

beś-as

il n’était pas

1pl.obl

pour que

être assis-1pl

« On n’avait pas où habiter. »

 

Au début, le locuteur pourra donc produire des formes étranges comme *je veux que je vais à l’école, *je sais que je cuisine.

 

Le conditionnel se forme de différentes manières en fonction des variétés. On peut utiliser la conjonction te suivi du présent, ou bien suivi du passé, ou encore le présent conjugué suffixé avec -a (qui sert, rappelons-le, de futur dans certaines autres variétés). Souvent, l’imparfait suffit à exprimer le souhait, dans un contexte au présent. D’autres variétés utilisent la particule bi empruntée au slave, combinée à l’imparfait.

 

Sas

miśto

te

avel

kadowa

muzèo

kërdo?

il était

bien

que

il devient

ce

musée

fait

« Ce serait bien que ce musée soit fait ? »

 

 

Sas

te

avel

but

miśto!

Il était

que

il devient

très

bien

« Ce serait très bien ! »

 

Po

kamavas

te

źav

te

kerav

buki.

bon

je voulais

que

je vais

que

je fais

travail

« Alors oui je voudrais aller travailler. »

 

Dal

bi

kamesas

te

ïngeres

ma

te

dikhav?

est-ce que

cond

tu voulais

que

tu emmènes

1sg.obl

que

je vois

« Est-ce que tu voudrais m’emmener pour que je voies ? »

 

Le conditionnel n’a que la valeur hypothétique en rromani, pas celle de politesse :

 

Akana

kamav

te

amboldes

tu

parpale

and-o

tìmpo.

Maintenant

je veux

que

tu retournes

2sg.obl

à nouveau

dans-le

temps

« Maintenant je voudrais que tu remontes dans le temps »

 

So

kames

te

mothos

le

rrom-en-që

quoi

tu veux

que

tu racontes

les.obl

rrom-m.pl.obl-dat

« Quel message voudrais-tu faire passer aux Rroms ? »

 

... ni celle de futur dans le passé comme c’est le cas en français (Ce jour-là, tout le monde pensait qu’il arriverait le lendemain). La distribution du conditionnel et du futur, ainsi que le concordance des temps, devra donc nécessiter une attention particulière.

 

Impératif et défense

 

L’impératif existe à la deuxième personne du singulier et du pluriel, comme en français. Le singulier est constitué de la racine nue du verbe (type I) ou de la racine + voyelle thématique -a (type II). Le pluriel est constitué de la racine + suffixe -en (type I) ou -an (type II) :

 

 

Type I

 

 

 

Type II

dors !

sov!

 

 

va !

ʒa!

dormez !

soven!

 

 

allez !

ʒan!

 

A la troisième personne du singulier et du pluriel, on emploiera l’indicatif précédé de te, donc l’équivalent du subjonctif français :

 

Te

aśunel

tut

o

Del!

que

il écoute

2sg.obl

le

Dieu

« Que Dieu t’entende ! »

 

Te

aven

le

Rrom

baxtale

thaj

sumnakune!

que

ils deviennent

les

Rroms

heureux/chanceux

et

dorés

« Que les Rroms aient la chance et la fortune avec eux ! »

 

La défense s’exprime au moyen de l’impératif précédé d’une particule négative, contrairement au français où pas suit le verbe et nepas l’encadre.

 

Contrairement au français ne, la particule n’est pas la même dans les phrases impératives et affirmatives (cf. infra pour les phrases affirmatives). Dans les variétés qui utilisent ni ou ći pour marquer la négation, on utilise na pour marquer la défense :

 

Na

rov!

int

pleure

« Ne pleure pas ! »

 

Ći

rovàv!

 

 

 

neg

je pleure

 

 

 

« Je pleure pas ! »

 

Dans les variétés qui utilisent na pour marquer la négation, on utilise ma pour marquer la défense :

 

Ma

rov!

int

pleure

« Ne pleure pas ! »

 

Na

rovàva!

neg

je pleure

« Je pleure pas ! »

 

Participes

 

Il existe deux participes, un participe présent actif et un participe passé passif. Le premier est constitué de la racine et du suffixe invariable -indo, - indor, -indoj pour les verbes du type I et -ando, -andor, -andoj pour les verbes du type II :

 

roindo

asando

en pleurant

en riant

 

Il a la valeur du gérondif français – mais toutes les variétés ne l’ont pas conservé.

 

Le second est constitué du radical du passé et du suffixe -o/i/e (m.sg, f.sg, pl) propre aux adjectifs.

 

voulu, aimé

cassé

ouvert

dit

mort

kaml-o

phagl-o

putard-o

phend-o

mul-o

 

Comme en français, il se fléchit comme un adjectif :

 

Kothe

arakhle

len

mul-e.

ils trouvèrent

3pl.obl

mort-pl

« Ils les trouvèrent morts là. »

 

Passif et réfléchi

 

Comment se construit la voix passive ? A partir du radical du passé, de l’infixe -ǒv- et des désinences du présent ou du passé. Le verbe est souvent contracté, de la même manière que les verbes empruntés et intégrés grâce à un infixe (cf. « voter » ci-dessus) :

 

 

 

être vu

 

 

Singulier

1

dikh-l-ǒv-av

>

dikhlǒv

 

2

dikh-l-ǒv-es

>

dikhlǒs

 

3

dikh-l-ǒv-el

>

dikhlǒl

Pluriel

1

dikh-l-ǒv-as

>

dikhlǒs

 

2

dikh-l-ǒv-en

>

dikhlǒn

 

3

dikh-l-ǒv-en

>

dikhlǒn

 

Là encore, le rromani a une conjugaison analytique et évite l’emploi d’un système d’auxiliaires.

 

Cette voix passive peut aussi avoir un sens réfléchi, parallèle à l’usage de la voix active + pronom réfléchi pe :

 

Swako

fjàlo

kerel

pe

an-e

fabrìka.

Chaque

truc

il fait

refl.sg

dans-la

usine

« Tout est fabriqué à l’usine. » (litt. tout se fabrique)

 

Notons que le suffixe -ǒv peut s’accrocher non seulement aux verbes, mais aussi aux adjectifs, afin de former des verbes inchoatifs :

 

adjectif

 

verbe

bar-o

>

bar-ǒv-av

grand

 

je grandis

phur-o

>

phur-ǒv-ev

vieux

 

tu vieillis

mat-o

>

mat-ǒv-el

ivre

 

il s’enivre

lol-o

>

lol-ǒ-l

rouge

 

il rougit

 

C’est le même phénomène qui s’est produit en français avec les verbes actifs du deuxième groupes (grandir, rougir, vieillir), à ceci près qu’en rromani le verbe n’est pas à la voix active et que le phénomène est semble-t-il plus productif. Cela peut amener les apprenants à généraliser ce modèle et à innover : malade > *malader ou *maladir pour « tomber malade ».

 

Dans le sens réfléchi, il est possible, selon le sens du verbe, d’employer soit le passif, soit le verbe avec le pronom oblique de la même personne que le sujet, soit le pronom réfléchi :

 

makhlǒvav

/ makhlǒv

je suis teint (je me teins)

makhav

man

je teins

1sg.obl

makhav

pe

je teins

refl.sg

« je me teins » = « je me maquille »

 

On pourra s’appuyer sur cette similitude des deux langues pour l’apprentissage du système réfléchi et pronominal du français.

 

On constate que le rromani présente un système de conjugaison synthétique avec deux paradigmes de désinence (présent et passé) qui se combinent avec deux radicaux (présent ou passé). Le reste est formé à l’aide de suffixes ou d’infixes invariables qui s’agglutinent aux formes conjuguées : futur, imparfait, plus-que-parfait, passif, suffixe intégrateur de verbes étrangers, etc. Le caractère hautement synthétique de la flexion verbale demandera des efforts aux locuteurs de rromani dans l’acquisition et la maîtrise de la flexion des formes composés (analytiques) en français : passé composé, plus-que-parfait, futur antérieur, passé du subjonctif et du conditionnel, toute la voix passive.

 

  1. La négation

 

Pour nier un verbe, on ajoute une unique particule de négation, qui se place toujours avant le verbe, contrairement au français pas postposé ou ne…pas qui encadre le verbe. Il existe plusieurs particules selon les variétés, que l’on peut simplifier ainsi : çi et ni en Roumanie, na partout ailleurs. Ce même na est aussi le mot « non ». Comme en français, la négation portant sur le verbe se combine avec un sujet ou un objet à valeur négative, telle que khanći, rien, ou khonik, personne.

 

Ći

potindine

ïnkë.

neg

ils ont payé

encore

« Ils n’ont pas encore payé ».

 

Ni

dikhlem

tut.

neg

j’ai vu

2sg.obl

« Je ne t’ai pas vue ».

 

Me

na

ʒanav !

2sg

neg

je sais

« Je sais pas, moi ! »

 

Ći

ma’

khanći.

neg

il a donné

1sg.obl

rien

« Il ne m’a rien donné. »

 

Na

primisaraw

khanći

khanik-as-θar.

neg

je reçois

rien

personne-obl-abl

« Je ne reçois rien de personne. »

 

Certains verbes ont fusionné avec la négation, ainsi naśti/naśtin/naśtik (invariable), « ne pas pouvoir », qui provient de na + aśti « pouvoir » (aujourd’hui presque disparu, sauf dans certaines variétés de Roumanie et de Bulgarie). « Pouvoir » affirmatif se dit aujourd’hui śaj (invariable), ou, dans certaines variétés de Roumanie, daśti (construit comme l’opposé de naśti : da « oui » + aśti). La troisième personne du verbe être a également fusionné avec la négation : naj ou nanaj ou nane au présent, nas (ou na sine) au passé.

 

Si c’est un élément autre que le verbe qui est nié, il suit immédiatement la négation :

 

Ći

jekh

rrom

ande

kadi

lumǎ

ći

daral

le

beng-en-θar.

neg

un

rrom

dans

ce

monde

neg

il craint

le.m.obl

diable-m.pl.obl-abl

« Aucun Rrom en ce monde ne craint pas les diables [sic]. »

 

Ta

ći

maj

avile.

Et

neg

plus

ils viennent

« Et ils ne sont plus revenus. »

 

En français au contraire, on voit que l’élément nié est en général situé de l’autre côté du verbe. Cela peut engendrer des erreurs de syntaxe en français.

 

  1. Le verbe être

 

Le verbe être présente une extrême variation en fonction des dialectes, mais de manière toujours très régulière. Son paradigme est globalement le suivant :

 

 

 

être

 

 

 

 

Présent

 

Passé

Singulier

1

sem som

 

sàmasmas

 

2

san

 

sànas

 

3

si

 

sas / sine

Pluriel

1

sam

 

sàmas

 

2

sen

 

sènas

 

3

si

 

sas / sine

 

Le s- initial peut être sj-, hj- ou h- dans d’autres variétés.

 

On remarque que les désinences du présent sont les mêmes que celles de la série de désinence du passé, à l’exception des troisièmes personnes. Cela semble indiqué que ce qui est aujourd’hui le paradigme du présent du verbe était à l’origine le paradigme du passé. Et que l’ancien paradigme du présent a disparu. Il ne subsiste aujourd’hui qu’un seul paradigme, l’ancien passé devenu présent, à quoi l’on peut ajouter le suffixe -as inaccentué aux formes du présent (sauf sine à la troisième personne, dans certaines variétés). Il n’y a donc pas à proprement parler de désinences ou de paradigme du passé du verbe être, mais un paradigme de l’imparfait, qui revêt toutes les valeurs passées : passé composé, imparfait, passé simple, plus que parfait. L’apprentissage de ces différents temps et de leurs valeurs d’emploi en français va donc constituer une importante difficulté.

 

Le verbe « être » à proprement parler n’existe pas au futur et au « subjonctif ». On y supplée en utilisant le verbe ovel, devenir (confondu parfois avec avel, venir) :

 

Te

aves (oves)

baxtali!

que

tu viens (tu deviens) = tu sois

heureuse/chanceuse

« Que la chance soit avec toi ! »

 

  1. Le verbe avoir

 

Il n’existe pas de verbe avoir « multi-usages » comme en français, et pas d’auxiliaire avoir. Il s’agit de verbes et tournures différentes en rromani :

 

  • « avoir » au sens le plus général (j’ai un travail, j’ai deux yeux, j’ai une sœur) correspond au verbe être + pronom oblique, littéralement « il est moi ». C’est de loin l’emploi le plus courant.

 

Si

man

duj

jakha.

Il est

1sg.obl

deux

yeux

« J’ai deux yeux. »

 

Si

man

jekh

kher.

Il est

1sg.obl

une

maison

« J’ai une maison. »

 

  • « posséder » correspond au verbe therel du groupe II

 

Therav

jekh

kher.

Je possède

une

maison

« Je possède une maison. »

 

  • « avoir » dans ses emplois figés (j’ai faim, j’ai chaud) correspond à d’autres expressions en rromani

 

Sem

bokhali.

Je suis

affamée

« J’ai faim. »

 

  1. Les constructions à verbe support

 

Comme en français, il existe de nombreuses « locutions à verbe support ». Ce sont des constructions où un verbe se combine à un nom (ou un adverbe), mais où l’essentiel du sens est porté par ce nom et non par le verbe, de sens assez général ou abstrait. C’est l’un des rares cas où le nom n’est pas accompagné d’un article.

 

Avec kerel, faire :

kerel

buti

 

 

 

kerel

làfi

 

 

 

kerel

kris

il fait

travail

 

 

 

il fait

mot

 

 

 

il fait

jugement

« il travaille »

 

 

 

« il parle/discute »

 

 

 

« il juge »

 

Avec del, donner :

del

dùma

 

 

 

del

vast

 

 

 

del

iv

il donne

mot

 

 

 

il donne

main

 

 

 

il donne

neige

« il parle/discute »

 

 

 

« il aide »

 

 

 

« il neige »

 

Avec xal, manger :

xal

xoli

 

 

 

xal

daba

 

 

 

xal

manro

il mange

bile

 

 

 

il mange

coups

 

 

 

il mange

pain

« il s’énerve »

 

 

 

« il reçoit des coups »

 

 

 

« il mange »

 

Avec lel, prendre :

lel

sàma

 

 

 

lel

ogi

 

 

 

lel

zor

il prend

attention

 

 

 

il prend

haleine/esprit

 

 

 

il prend

force

« il fait attention »

 

 

 

« il respire »

 

 

 

« il prend des forces »

 

On pourra s’appuyer dessus afin d’acquérir les expressions françaises similaires : avec les verbes avoir (faim, peur, honte, mal, bonne/mauvaise conscience, raison, tort, besoin…), faire (honneur, honte, mal, pipi, outrage, serment, semblant, mine...), prendre (congé, garde, racine,…), etc. En français non plus, le nom n’est précédé d’aucun article.

 

De même qu’en français, certains verbes peuvent introduire d’autres verbes, par exemple commencer à + verbe, arrêter de + verbe, aller + verbe… C’est la même chose en rromani et cela ne pose donc pas de problème particulier à l’apprenant.

 

Po

kamavas

te

źav

te

kerav

buki.

bon

je voulais

que

je vais

que

je fais

travail

« Alors oui je voudrais aller travailler. »

 

Ći

mekhënas

te

źan

te

anen

pesqë

vareso.

neg

ils laissaient

que

ils vont

que

ils apportent

refl.sg.obl-dat

quelque chose

« Ils ne les laissaient pas rapporter quelque chose. »

 

On n’utilise cependant pas toujours des verbes de même sens :

 

Lav

te

kerav

buti.

Je prends

que

je fais

travail

« Je me mets/commence à travailler »

 

A l’impératif, il convient de se souvenir qu’il n’y a pas d’infinitif en rromani. Le deuxième verbe est donc « conjugué » à la même personne que le premier, c’est-à-dire à l’impératif :

 

Ȝa

sov!

va

dors

« Va dormir ! »

*Va dors !

 

 

  1. Les autres classes

 

  1. Les adverbes

 

Comme le français, le rromani possède tout une série d’adverbes primaires ainsi qu’une série d’adverbes de manière dérivés, formés à partir d’adjectifs et du suffixe –es, équivalent du suffixe français -ment :

 

loin

en bas

maintenant

à nouveau

beaucoup

bien

ainsi

dur

tele

akana

(pal)pale(m)

but

miśto / śukar

kadǎ / akhal

 

fort

vrai

lent

dégoûtant

rromani

non-rrom

fortement

vraiment

lentement

de manière dégoûtante

à la manière rrom

à la manière non-rrom

zoralo

ćaćo

lokho

ʒungalo

rromano

gaʒikano

zorales

ćaćes

lokhes

ʒungales

rromanes

gaʒikanes

 

On peut s’appuyer sur cette similitude entre -es et -ment pour acquérir le fonctionnement des adverbes – à ceci près que le suffixe rromani s’accole directement à la racine, sans le suffixe adjectival -o/-i/-e, tandis que le suffixe français s’accole à la forme féminine de l’adjectif (avec souvent déjà présence du -e).

 

Lorsqu’ils portent sur un adjectif, un adverbe, un numéral, un nom, les adverbes précèdent généralement celui, comme en français :

 

Akova

si

but

bari

diskriminàcja.

ça

est

beaucoup

grande

discrimination

« Ca c’est une très forte discrimination. »

 

But

bërś

nakhle.

beaucoup

années

ont passé

 

 

 

« De nombreuses années passèrent. »

 

Lorsqu’ils portent sur un verbe, l’adverbe peut se placer après ou avant celui-ci, mais plutôt après dans les variétés de Roumanie.

 

Von

sùgo

ȝan.

3pl

vite

ils vont

« Eux ils vont vite. »

 

źal tar

vo’

sùgo.

il s’en va

3sg

vite

« Il s’en va vite. »

 

Del

les

ekh

taxtaj

paj,

a

vov

pilǎ

les

sùgo.

Il donne

3sg.obl

verre

verre

eau

et

3sg

a bu

3sg.obl

vite

« Il lui donne un verre d’eau, et l’autre l’a bu rapidement. »

 

Lorsqu’ils portent sur la phrase, les adverbes peuvent être placés à différents endroits :

 

Pale

lel

len

e

lìndri

truśaθar.

A nouveau

il prend

3pl.obl

la

sommeil

soif-abl

« Encore une fois, le sommeil les surprend à cause de la soif. »

 

Beśle

sa

e

rakhlorrë

kothe.

Ils sont restés

tous

les

petits enfants non-rroms

« Tous les petits enfants restèrent là. »

 

  1. Les nombres

 

Le rromani compte en base dix. Il connaît, comme le français, des nombres simples et des nombres composés :

 

 

Simples

Complexes

1

un

jekh

 

 

2

deux

duj

 

 

3

trois

trin

 

 

4

quatre

śtar

 

 

5

cinq

panʒ

 

 

6

six

śov

 

 

7

sept

eftà

 

 

8

huit

oxtò

 

 

9

neuf

enjà

 

 

10

dix

deś

 

 

11

onze

 

 

deśujekh /

deś thaj jekh

12

douze

 

 

deśuduj /

deś thaj duj

13

treize

 

 

deśuśtar /

deś thaj śtar

14

quatorze

 

 

deśujekh /

deś thaj jekh

15

quinze

 

 

deśupanʒ /

deś thaj panʒ

16

seize

 

 

deśuśov /

deś thaj śov

17

 

 

dix-sept

deśuefta /

deś thaj efta

18

 

 

dix-huit

deśuoxto /

deś thaj oxto

19

 

 

dix-neuf

deśuenǎ /

deś thaj enǎ

20

vingt

biś

 

 

21

 

 

vingt-et-un

biśujekh /

biś thaj jekh

22

 

 

vingt-deux

biśuduj /

biś thaj duj

30

trente

trǎnda

 

 

31

 

 

trente-et-un

trǎndujekh /

trǎnda thaj jekh

32

 

 

trente-deux

trǎnduduj /

trǎnda thaj duj

40

quarante

sarànda

 

/ śtarvardeś

50

cinquante

pìnda

 

/ panʒvardeś

60

soixante

 

 

śovardeś

70

 

 

soixante-dix

eftavardeś

80

 

 

quatre-vingt

oxtovardeś

90

 

 

quatre-vingt-dix

enǎvardeś

100

cent

śel

 

 

101

 

 

cent un

śelujekh /

śel thaj jekh

200

 

 

deux cents

duj śel(a)

300

 

 

trois cents

trin śel(a)

1000

mille

jekh mìa / xilǎda

 

 

 

Les nombres complexes sont formés soit par addition (deś-u-duj / deś thaj duj = « dix et deux » = 12), soit par multiplication (oxto-var-deś = « huit fois dix » = 80).

 

Le nombre précède le nom, comme en français :

 

Sas

maj

anglal

jek

phuri,

sas

la

duj

raklorrë.

Il était

plus

avant

une

vieille

il était

3sg.f.obl

deux

petits enfants non-rroms

« Il était une fois une vieille dame, elle avait deux petits enfants. »

 

Les nombres de 1 à 20 peuvent se fléchir comme des adjectifs.

 

 

Si

tu

ëkh

śel

bi

ëkh-ë

bërś-es-q-o!

il est

2sg.obl

un

cent

moins

un-m.sg.obl

an-m.sg.obl-gen-m.sg

« Tu as cent moins un ans ! » (= 99 ans)

 

 

 

 

Les ordinaux sont formés par l’ajout d’un suffixe -to inaccentué, équivalent du français -ième :

 

 

duj

 

dùjto

deux

 

deuxième

 

 

 

 

 

Contrairement au français qui peut fléchir, du moins en nombre, le numéral ordinal, celui rromani reste invariable.

 

  1. La phrase

 

  1. Valence des verbes

 

Comme en français, les verbes peuvent être transitifs ou intransitifs :

 

Me

k’

arakhav

tu

and-e

xëv

e

sap-es-q-i

1sg

fut

je trouve

2.sg.obl

dans-la

trou(f.sg)

le.m.sg.obl

serpent-m.sg.obl-gen-f.sg

« Moi je te trouverai dans la tanière du serpent. »

 

Aśundǎn

so

phendem

tu-qe?

Tu as écouté

ce que

j’ai dit

2sg.obl-dat

« Tu as écouté ce que je t’ai dit ? »

 

Cependant il existe des différences notables avec le français en fonction des verbes. Par exemple le verbe donner se construit par exemple avec deux objets directs (au cas oblique) :1

 

Maj

dav

tu

ekh

vurdon.

plus

je donne

2sg.obl

un

voiture

« En plus je te donne une voiture. »

 

te

des

ma

mînrro

ćuborro

palpale.

que

tu donnes

1sg.obl

mon

tonneau

à nouveau

« que tu me rendes mon tonneau. »

 

 

Te

del

tut

o

Del

baxt!

que

il donne

2sg.obl

le

Dieu

chance/bonheur

« Que Dieu te donne la chance ! »

 

Le verbe pherel, remplir, a la même valence doublement transitive, sans l’usage de prépositions :

 

Kon

ka

uśtel

e

bab-os-qe

te

pherel

jekh

khoro

pani?

qui

fut

il se lève

le.m.sg.obl

grand père-m.sg.obl-dat

pour que

il remplit

une

cruche

eau

« Qui va se lever pour remplir à papi une cruche d’eau ? »

 

o

tërno

raklorro.

pherel

pèsqo

brek

pràxo.

le

jeune

jeune garçon non-rrom

il remplir

son

poitrine

poussière

« Le jeune garçon couvre sa poitrine de poussière. »

 

L’adjectif qui en dérive prend lui aussi un « objet » direct :

 

jekh

khoro

pherdo

pani

un

cruche

plein

eau

« une cruche [pleine] d’eau »

 

De même, le verbe pardonner a été emprunté au roumain avec sa valence transitive :

 

O

Del

te

jertil

la!

le

Dieu

que

il pardonne

3sg.obl

« Que Dieu lui pardonne ! »

 

O

Del

te

jertil

le

savorr-en

kaj

mule!

le

Dieu

que

il pardonne

3pl.obl

tous-pl.obl

qui

ils sont morts

« Que Dieu pardonne à tous ceux qui sont morts ! »

Toutes ces différences constituent des « pièges » à prendre en compte au moment de l’acquisition du vocabulaire.

 

  1. Les propositions subordonnées

 

  1. Les subordonnées relatives

 

Elles sont plus simples en rromani qu’en français, dans la mesure où le pronom relatif est invariable : kaj – il s’agit également de la conjonction de lieu « où ». Comme en français, la relative est placée après son antécédent. Celui-ci peut être un nom :

 

Le

duj

kompìrke

kaj

aćhile.

prends

deux

pommes de terre

rel

restent

« Prends deux pommes de terre qui restent »

 

… ou un pronom :

 

odëja

kaj

astarel

o

gada

cela.f

rel

attrape

les

vêtements

« le trucqui pince les vêtements » (= la pince à linge)

 

L’antécédent peut être sujet de la relative :

 

Le

o

kalèmi

kaj

si

lolo.

prends

le

crayon

rel

il est

rouge

« Prends le crayon qui est rouge. »

 

… ou bien objet :

 

o

khas

kaj

xan

le

gras’

le

foin

rel

ils mangent

les

chevaux

« le foin que mangent les chevaux »

 

Thonas

le

romnǒrra

kaj

sas

len

le

ćhavorrë

cïnorrë.

ils mettaient

les

femmes

rel

il était

3pl.obl

les

petits enfants

tout petits

« Ils prenaient les femmes qui avaient des enfants en bas âge. »

 

o

manyqyri

kaj

makhèna

pe

naja.

le

vernis à ongles

rel

ils teignent

poss.refl.pl

ongles

« le vernis à ongles avec lequel on se teint les ongles. »

 

Il existe également un relatif fléchi en genre et en nombre, savo, équivalent de l’interrogatif lequel :

 

Ma

dara

ȝukl-es-θar

sav-o

baśèla.

int

crains

chien-m.sg.obl-abl

lequel- m.sg

il aboie

« Ne crains pas le chien qui aboie. »

 

On pourra s’appuyer sur celui-ci afin d’acquérir le paradigme français qui, que, dont, lequel….

 

Enfin, il peut également ne pas y avoir d’antécédent du tout. Elle est introduite par le pronom interrogatif kon (qui en français) et non par le pronom relatif kaj (qui aussi en français, ce qui peut porter à confusion) :

 

Kon

daral

merel,

kon

tromal

ȝivel.

qui

a peur

meurt

qui

ose

vit

« Qui a peur meurt, qui ose vit. »

 

  1. Subordonnées complétives

 

Les propositions subordonnées complétives qui complètent un verbe modal de volonté, décision, pouvoir, devoir, sont introduites par te :

 

Kamaw

te

phenes

man-qe

sa.

Je veux

que

tu dises

1sg.obl-dat

tout

« Je veux que tu me racontes tout. »

 

Naj

les

khanći

kagji

mogućnosti

te

daśtil

te

kërël

kajekh

buki.

il est

3sg.m.obl

rien

cette

possibilité

que

il peut

que

il fait

un quelconque

travail

« Il n’a absolument aucune possibilité de pouvoir faire un quelconque travail. »

 

Mùsaj

le

gaȝe

te

potǐnen

i

tu-qe

drèpto.

devoir

les

non-Rroms

que

ils payent

aussi

2sg-dat

ton

droit

« Les non-Rroms doivent payer à toi aussi une compensation. »

 

Avec pouvoir, te peut ne pas être prononcé :

 

Rodasas

manuś

bërć-en-çar

te

daśti

nakhaven

ame’.

nous cherchions

homme

barque-f.pl.obl-instr

que

possible

ils font passer

1pl.obl

« On cherchait des gens qui aient une barque pour qu’ils puissent nous faire passer. »

 

Au contraire lorsque la subordonnée complète un verbe présentatif de connaissance (savoir, dire, répondre…), elle est introduite par kaj :

 

O

raklo

gîndil

pe

akana

kaj

îngerel

les

vo’

les

tal

o

paj.

le

garçon

pense

refl.sg

maintenant

que

il emporte

3sg.m.obl

3sg

3sg.m.obl

sous

le

eau

« Le garçon pense maintenant à le sortir de l’eau. »

 

Le rromani emprunte parfois la conjonction de subordination locale, par exemple au roumain :

 

Eh,

dikhes,

phenkë,

ći

arakhlǎn

la.

Eh

tu vois

dit-il

que

neg

tu as trouvé

3sg.f.obl

« Ej tu vois, dit-il, que tu ne l’as pas trouvée. »

 

L’emprunt de sous la forme de ou ke est favorisé par sa proximité, à l’oral, avec kaj.

 

Cette distinction entre deux conjonctions possibles, l’une non-factuelle (après pouvoir, devoir…), et l’autre factuelle (après dire, savoir…), se trouve dans les autres langues des Balkans. En rromani on remarque en outre une tendance pour le sujet à suivre le verbe dans le premier type de subordonnée, et à le précéder dans le second type.

 

Dans tous les cas, il n’y a pas de différence de mode car le rromani ne connaît que l’indicatif pour les subordonnées complétives. La variation, en français, entre indicatif et subjonctif pose donc problème à l’apprenant. En revanche, le français est plus simple quant à la conjonction à utiliser, puisque c’est toujours que.

 

  1. Subordonnées interrogatives

 

Les subordonnées interrogatives indirectes sont introduites par le même pronom interrogatif qu’en interrogation directe :

 

Ći

ȝanav

kaj

kërdilom.

neg

je sais

j’ai été faite

« Je ne sais pas je me suis cachée. »

 

Phen

man-qe

sar

kërdǎn

buti

p-o

kïmpo.

dis

1sg.obl-dat

comment

vous avez fait

travail

sur-le

camp

« Dis-moi comment vous avez travaillé dans le camp ? »

 

Phen

man-qe

sode

manuś

sanas?

dis

1sg.obl-dat

combien

homme

vous étiez

« Dis-moi comment vous étiez ? »

 

Naj

kaj

te

kerav

buki.

il n’est pas

que

je fais

travail

« Je n’ai pas où travailler. »

 

Le français cependant fait une exception pour l’interrogatif quoi/que, qui correspond à ce que dans une subordonnée. Au contraire le rromani emploie le même pronom que dans l’interrogation directe, so :

 

So

sas

othe?

quoi

il était

là-bas

« Qu’est-ce qu’il y avait là-bas. »

 

Phen

man-qe

so

sas

othe.

dis

1sg.obl-dat

quoi

il était

là-bas

« Dis-moi ce qu’il y avait là-bas. »

 

Lorsque le verbe est équivalent à l’infinitif, on a comme toujours la conjonction suivie du verbe conjugué :

 

Na

ȝanav

so

te

kerav.

neg

je sais

quoi

que

je fais

« Je ne sais pas quoi faire. »

 

Cela amène les apprenants à des constructions existant en français populaire mais non en français standard :

Dis-moi qu’est-ce qu’il y avait là-bas.

(Dis-moi ce qu’il y avait là-bas)

 

Certaines variétés ont emprunté le subordonnant si interrogatif total de la langue dominante locale, par exemple dacă roumain ou dali serbe :

 

Nùma

kana

źas

te

dikhas

dakë

potrevis

grast-es.

seulement

maintenant

nous allons

que

nous voyons

si

tu devines

ton.m.sg.obl

cheval- m.sg.obl

« Allons voir maintenant si tu devines [lequel est] ton cheval. »

 

  1. Subordonnées circonstancielles

 

Comme les subordonnées complétives, les subordonnées circonstancielles sont introduites par les mêmes pronoms interrogatifs qu’en interrogation directe :

 

Kana

raslo

k-o

paj,

thogǎ

pe

te

pel

o

paj.

quand

il arriva

à-le

eau

il mit

refl.sg

que

il boit

le

eau.

« Quand il arriva à la rivière, il se mit à boire l’eau. »

 

Kaj

gòdi

źal

vov,

lesqe

trin

źukel’

pala

les-θe.

quelconque

il va

3sg

ses

trois

chiens

derrière

3sg.m.obl-loc

«  qu’il aille, ses trois chiens le suivent. »

 

Cela ne présente pas de difficulté particulière pour l’apprenant.

 

  1. Ordre des mots dans les phrases affirmatives

 

Sous l’influence du grec, le rromani est passé de l’ordre des mots canonique sujet – objet – verbe (SOV) dans les langues indo-iraniennes à l’ordre sujet – verbe – objet (SVO), fréquent dans les langues indo-européennes d’Europe. C’est le même qu’en français, ce qui de pose donc pas de problème pour l’apprentissage du français :

 

Ël

neàmcï

dine

le

jag

sa…

les

Allemands

ils donnent

3pl.obl

feu

tous

sujet

verbe

objet

« Les Allemands les ont tous fusillés. »

 

Le rromani met volontiers le verbe en tête de phrase, notamment en l’absence d’objet (verbes intransitifs) :

 

Avèna

o

kalǎrde.

ils viennent

les

flics

verbe

sujet

« Les flics arrivent. »

 

On constate que dans les récits comme les contes, les verbes d’action, transitifs ou intransitifs, sont quasiment toujours placés avant le sujet, donc souvent en tête de phrase.

 

Dine

le

jag

le

neàmcë

sa.

ils donnent

3pl.obl

feu

les

Allemands

tous

verbe

objet

sujet

 

« Les Allemands les ont tous fusillés. »

 

Mekhlem

le

dur

and-o

vëś.

J’ai laissé

3sg

loin

dans-le

forêt

verbe

objet

 

 

 

« Je l’ai laissé loin dans la forêt. »

 

Tous les ordres des mots sont possibles car la langue est très flexible, à l’exception de ceux avec verbe en fin de proposition (SOV, OSV), qui sont très rares.

 

SVO

Em

jekh

dive

i

phuri

kerèla

marikli

et

un

jour

la

vieille

fait

marikli

 

 

 

sujet

verbe

objet

« Et un jour, la veille fait du burek. »

 

OVS

Vaver

lokàli

ni

ȝanàv

(me).

autre

café

neg

je sais

(1sg)

objet

verbe

(sujet)

« Je ne connais pas d’autre café (moi). »

 

VSO

Lel

e

vùlpǎ

ekh

flàśa.

il prend

la

renard

une

bouteille

verbe

sujet

objet

« Le renard prend une bouteille. »

 

VOS

Mukhle

la

le

moldovèja.

Ils ont laissé

3sg.f.obl

les

Moldaves

verbe

objet

sujet

« Les Moldaves l’ont laissée là. »

 

Ces différents ordres expriment chaque fois une nuance communicative différente, en mettant sous en relief les éléments qui ne sont pas à l’endroit où on les « attendrait », de préférence en tête de phrase ou de proposition :

 

O

Mihail

astardas

e

ʒuklen

Le

Michel

a attrapé

les

chiens

sujet

verbe

objet

« Michel a attrapé les chiens. »

 

E

ʒuklen

astardas

o

Mihail

Les

chiens

a attrapé

le

Michel

objet

verbe

sujet

« Ce sont les chiens que Michel a attrapé. »

 

E/o

ʒukla

astarde

e

Mihaile

Les

chiens

a attrapé

le

Michel

sujet

verbe

objet

« Les chiens ont attrapé Michel. »

 

E

Mihaile

astarde

e/o

ʒukla

Le

Michel

a attrapé

les

chiens

objet

verbe

sujet

« C’est Michel que les chiens ont attrapé. »

« Michel, les chiens l’ont attrapé. »

 

Du point de vue du rromani, on peut dire que le français maintient simplement tous les noms au cas direct, sans flexion, et avec un ordre des mots rigide car c’est la position dans la phrase qui fait sens :

 

Michel

a attrapé

les

chiens

Les chiens

ont attrapé

Michel

sujet

verbe

objet

 

Il doit donc exprimer les nuances expressives comme la mise en relief à l’aide de tournures syntaxiques telles que c’est que…, le redoublement du sujet, de l’objet, ainsi que la prosodie et l’intonation spécifiques.

 

  1. Phrases interrogatives

 

Les questions partielles présentent l’ordre interrogatif-verbe-sujet :

 

So

keres

tu

kathe?

quoi

tu fais

2sg

ici

int

verbe

sujet

« Qu’est-ce que tu fais ici toi ? »

 

Kon

san

tu?

qui

tu es

2sg

int

verbe

sujet

« Qui es-tu ? »

 

Katar

aves

tu?

d’où

tu viens

2sg

int

verbe

sujet

« Tu viens d’où ? »

 

On peut trouver l’ordre interrogatif-sujet-verbe, mais il est rare et dépend du contexte :

 

Katar

tu

aves?

d’où

2sg

tu viens

int

sujet

verbe

« Tu viens d’où ? »

 

Les questions totales (réponse par oui ou par non) ne sont pas marquées par l’ordre des mots mais par l’intonation – comme en français courant ou familier :

 

Vov

mulo

p-o

drom?

3sg

il est mort

sur-la

route

sujet

verbe

 

« Il est mort sur la route ? »

 

En outre, nombre de variétés utilisent une particule interrogative empruntée aux langues de contact, par exemple dal au serbo-croate.

 

Manuśa,

dal

san

tu

ka’

rakhlan

mïnrre

love?

homme!

int

tu es

2sg

rel

tu as trouvé

mes

argent

« Homme, est-ce toi qui as trouvé mon argent ? »

 

L’inversion en français soutenu est donc quelque chose de nouveau à acquérir pour l’apprenant. Il en va de même pour la structure est-ce que, qui est très difficile à maîtriser.

 

  1. Bibliographie sélective

 

  1. Dictionnaires

 

Calvet Georges, Dictionnaire tsigane-français, Paris, L’Asiathèque, 1993.

Courthiade Marcel, Morri Angluni Rromane Ćhibǎqi Evroputni Lavustik / Első rromani nyelvű európai szótáram : cigány, magyar, angol, francia, spanyol, német, ukrán, román, horvát, szlovák, görög, édité par Melinda Rézműves, Lucia Presber et Geoff Husic, Budapest, Fővárosi Onkormányzat Cigány Ház - Romano Kher, 2009.

R.E.D.-Rrom, Institut National des Langues et Civilisations Orientale, Lavutstik Online / Rromani Online Dictionary, http://lavustik.red-rrom.com/

Romani Projekt, Universités de Graz (Autriche) et de Manchester (Royaume-Uni), ROMLEX : Romani Lexical Database, http://romani.uni-graz.at/romlex/lex.xml

Sarău Gheorghe, Mic dictionar rom-român, Bucureşti, Kriterion, 1992.

 

  1. Le peuple

Asséo Henriette, Les Tsiganes : une destinée européenne, Paris, Gallimard, collection « Découverte », 1994.

Bordigoni Marc, Gitans, Tsiganes, Roms... : Idées reçues sur le monde du Voyage, Paris, Editions Le Cavalier Bleu, 2013.

Cioabă Luminița Mihai, Lacrimi Rome = Romane asva, București, Ro Media, 2006.

Courthiade Marcel, « Le rromani et les autres langues en usage parmi les Rroms, Manouches et Gitans », dans Histoire sociale des langues de France, édité par Georg Kremnitz, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013.

Fassin Etienne, Aurélie Windels, Carine Fouteau, et Serge Guichard, Roms & riverains : une politique municipale de la race, Paris, La Fabrique, 2014.

Liebig Etienne, De l’utilité politique des Roms, Paris, Michalon, 2012.

Matras Yaron, I Met Lucky People: The Story of the Romani Gypsies, London, Allen Lane – Penguin Books, 2014.

Piasere Leonardo, Roms : une histoire européenne, Paris, Bayard, 2010.

Tirard Aurore, « Quelle place pour le rromani entre volonté institutionnelle et discrimination de fait dans une Europe en mutation ? », dans Cahiers du MIMMOC, [à paraître].

 

  1. La langue

 

Boretzky Norbert, Romani: Grammatik des Kalderaš-Dialekts, Berlin, Harrassowitz Verlag, 1994.

Boretzky Norbert, Die Vlach-Dialekte des Romani : Strukturen, Sprachgeschichte, Verwandtschaftsverhältnisse, Dialektkarten, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2003.

Courthiade Marcel, « Les premières approches linguistiques du rromani (1500-1800) : entre présupposés, dégoût, ambitions et objectivité de méthode », dans Dossiers d’HEL-SHESL, Linguistiques d’intervention. Des usages socio-politiques des savoirs sur le langage et les langues, 2014.

Igla Birgit, Das Romani von Ajia Varvara: Deskriptive und historisch-vergleichende Darstellung eines Zigeunerdialekts, Wiesbaden, Otto Harrassowitz Verlag, 1996.

Matras Yaron, Romani: A Linguistic Introduction, Cambridge University Press, Cambridge, 2002.

Matras Yaron, « Romani », dans The languages and linguistics of Europe. A comprehensive guide, édité par Bernd Kortmann & Johan van der Auwera, Berlin, Mouton de Gruyter, 2011.

 

  1. Pour apprendre la langue

 

Courthiade Marcel, Introduction à la langue rromani – La langue rromani, présentation générale, Paris, INALCO, 2009.

Courthiade Marcel, Rromani de poche, Chennevières-sur-Marne, Assimil, 2010.

Hancock Ian, A handbook of Vlax Romani, Colombuss, Slavica Publishers Inc, 1995.

Lee Ronald, Learn Romani: Das-Duma Rromanes, Hertfordshire, University of Hertfordshire Press, 2005.

R.E.D.-Rrom, Institut National des Langues et Civilisations Orientale, Restoring the European Dimension of Rromani Language and Culture, http://red-rrom.com/home.page

Romaninet, Instituto de Enseñanza Secundaria Ribeira do Louro (Espagne), Romani Language and Culture, http://www.romaninet.com/

 

 

 

1 Dans le texte de l’histoire de l’âne enregistrée pour le projet, et certainement parce qu’il s’agit d’une tâche de traduction où le locuteur s’est laissé influencer par la langue de contact, on ne trouve pas 2 objets directs, mais objet direct + bénéficiaire au datif ou introduit par une préposition : Me dem les deźa averesqe et ći mangel te del pesqo xer ka godo manuś.