Comment lire l'API

La section « phonologie » des langues répertorie, notamment, les sons présents dans la langue en question. La dénomination de cette section est en fait un peu trompeuse, car la section ne décrie pas seulement les processus phonologiques des langues, mais aussi leur phonétique. La phonétique est l’étude des sons de la langue comme des sons dont les propriétés articulatoires et acoustiques nous sont connues. La phonologie, en revanche, est l’étude des sons de la langue en tant que catégories mentales, abstraites, dans la tête des locuteurs. Pour différencier les objets phonétiques des objets phonologiques, on marque les premiers entre crochets et les seconds entre barres obliques. Par exemple, on peut réaliser [a] de diverses manières, plus ou moins grave ou aigu, plus ou moins long, etc., mais toutes ces réalisations de [a] ne renvoient, pour le locuteur du français, qu’à une seule et même catégorie dans la langue, le /a/.


Pour nommer ces sons, les linguistes utilisent l’Alphabet Phonétique International, ou API, qui décrit les sons, ou phones, des langues du monde. C’est lui que l’on utilise notamment dans les dictionnaires. L’API décrit d’une part les consonnes, d’autre part les voyelles.

I/ Les consonnes


L’API ordonne les consonnes dans un tableau facile à lire lorsque l’on sait à quoi correspondent l’abcisse et l’ordonnée. Ces dernières sont organisées dans un ordre logique :

1) Le point d’articulation :
Sur l’axe des abscisses, donc horizontalement, le tableau précise le point d’articulation des sons. Le point d’articulation est le point où la bouche se ferme pour empêcher l’air de passer. De gauche à droite, l’air est obstrué de l’avant vers l’arrière de la bouche :
- Les phones dits labials sont ceux qui empêchent l’air de passer au niveau des lèvres : [p] et [b] sont bilabiaux, c’est-à-dire que les deux lèvres se touchent, [f] et [v] sont seulement labiaux ou labiodentaux car les dents ne touchent qu’une seule lèvre, la lèvre inférieure.
- Les phones dits linguals sont ceux pour lesquels la langue touche un endroit du palais :

  • Les phones coronaux sont ceux dont le point d’articulation se situe dans la couronne de la bouche (des premières aux dernières dents) :
    • Les sons dentaux sont ceux pour lesquels il faut poser la langue sur les dents pour les prononcer. C’est le cas du « th » de l’anglais (noté θ), par exemple.
    • Les sons alvéolaires sont ceux pour lesquels la langue touche le palais juste derrière les dents, sur le renflement appelé le «bourrelet alvéolaire» ou « alvéoles » ;
    • Les sons pré-palataux (palatal vient de la même étymologie que le mot « palais ») sont ceux pour lesquels la langue touche le palais dur, juste après les alvéoles : en français, <ch> et <j> utilisent ce point d’articulation ;
    • Les rétroflexes, ou apico-palataux, sont les sons pour lesquels la langue touche le palais, comme les « palataux », mais à la différence que la langue se roule dans la bouche (il faut poser le bout de la langue – ou « apex » – sur le palais, non son dos) : on en trouve beaucoup notamment dans les langues d’Inde.
  • Les phones dits dorsaux sont ceux pour lesquels la langue touche l’arrière de la bouche :
    • Les sons dorso-palataux sont ceux pour lesquels le dos de la langue touche le palais dur : en français le son [c] est un « k » que l’on prononce devant un [i], [ɉ] est un « gu » qu’on prononce devant un [i] et [ɲ] est la consonne de « agneau ».
    • Les sons vélaires sont ceux pour lesquels l’arrière de la langue touche le « velum » ou palais mou, juste derrière le palais dur : k, g, etc. [ŋ] est le son que l’on trouve à la fin de « parking ».
    • Les sons uvulaires sont ceux pour lesquels la langue touche l’uvule, aussi appelée la luette, c’est-à-dire l’appendice de chair qui pend au fond de la gorge. En français, le seul son qui utilise ce point d’articulation est le « r ».
  • Les phones pharyngaux sont ceux qui utilisent comme point d’articulation un point encore plus en arrière, dans le pharynx.

- Les phones « laryngaux » enfin, ou « glottals », sont les sont produits avec la glotte, comme par exemple le [h] ou le [ʔ] (la « hamza » de l’arabe, ou « coup de glotte »).


2) Le mode d’articulation :
Sur l’axe des ordonnées, de haut en bas, sont notés les «modes d’artculation». Le mode d’articulation définit combien d’air peut passer lors de la production de la consonne. Plus on descend dans le tableau, et plus l’air passe :

  • Les occlusives, ou obstruantes sont réalisées en obstruant l’air complètement. On ne s’en rend pas compte, mais lorsqu’on produit un [p], un [t] ou un [k], l’air est complètement bloqué pendant un temps très court.
  • Les fricatives (ou spirantes) laissent passer l’air un peut davantage – c’est d’ailleurs pour cela que l’on peut les tenir plus longtemps. Si l’on met la main devant la bouche en produisant un [f], un [v] ou un « r », par eemple, on peut sentir l’air passer.
  • Les liquides sont les consonnes qui laissent encore plus passer l’air. Celles dites latérales, comme le [l], laissent passer l’air sur les côtés, celles dites vibrantes (ou rhotiques) sont celles pour lesquelles l’air vibre, comme dans le « r » de l’espagnol par exemple.
  • Les « trill », ou consonnes « flappées » ou « frappées » ou « tapées » selon les terminologies, sont les consonnes pour lesquelles la langue frappe rapidement les alvéoles une seule fois : typiquement, [ɾ] est le [t] ou le [d] de l’anglais américain.
  • Enfin, les « approximants » ou « glides » sont les sons communément appelés « semi- voyelles » ou « semi-consonnes ». Cette terminologie est intéressante car elle montre bien que ces consonnes sont ce qu’il y a de plus proche des voyelles (sons qui laissent passer l’air sans la moindre obstruction). En français, nous en avons trois : [j], comme dans « ayant » ou « bailler » ; [w] comme dans « oui » et [ɥ] comme dans « huit » ou « pluie » (mais ce dernier n’existe pas dans la variété belge du français).


3) Le voisement
Dans certaines cases, on trouve deux sons. Par exemple, [p] et [b] sont dans la même case car ils sont tous les deux des obstruantes bilabiales. Ce qui différencie ces deux sons est ce qu’on appelle le « voisement ». Le voisement est la vibration des cordes vocales lors de la réalisation de la consonne. Si l’on pose sa main sur la gorge, on la sent vibrer lorsqu’on dit [b], mais pas lorsqu’on dit [p]. Le voisement est, en français, ce qui distingue p, t, k, f de b, d, g, v. Par défaut, l et j, w et ɥ sont toujours voisés.
Enfin, pour mémoire, deux sons apparaissent dans deux cases : [w] et [ɥ]. C’est parce qu’ils ont deux points d’articulation : pour [w], la langue s’approche (sans le toucher, sinon ce serait une obstruente) du vélum, et pour [ɥ], la langue approche le palais dur. Mais cela ne suffit pas à produire un [w] ou un [ɥ]. Pour se faire, il faut aussi arrondir les lèvres, qui sont donc le deuxième point d’articulation.



II/ Les voyelles


Le tableau des voyelles fonctionne sur le même principe que celui des consonnes. De gauche à droite, la langue approche le palais depuis l’avant vers l’arrière de la bouche : [i] est la voyelle la plus antérieure, car la langue approche le palais au niveau du palais dur ; [u] (prononcé « ou ») est la voyelle la plus postérieure car la langue approche le palais au niveau du palais mou. De haut en bas est notée l’aperture, c’est-à-dire le degré d’ouverture de la bouche (et donc l’air passe de plus en plus, comme pour les consonnes) : [i] et [u] sont les voyelles les plus fermées (ou hautes), [e] et [o] sont des voyelles mi-fermées, [ɛ] et [ɔ] des voyelles mi-ouvertes, et [a] et [ɑ] des voyelles ouvertes. Les voyelles mi-fermées et mi-ouvertes sont aussi appelées « moyennes ».


Deux autres paramètres sont notés cependant, spécifiques aux voyelles : l’arrondissement et la tension. L’arrondissement signifie que les lèvres sont arrondies : c’est la différence, par exemple, entre [i] et [y] (le « u » du français). La tension est, en quelque sorte, la tension musculaire que l’on met dans les joues lorsqu’on produit une voyelle. On ne l’utilise pas en français (on utilise plutôt l’aperture) mais on l’utilise beaucoup en angalis : c’est la différence, par exemple, entre le [i] de « beat » et le [ɪ] de « bit » en anglais.
Il est à noter ici que le français utilise un très grand nombre de voyelles, comparé aux langues du monde. Les trois voyelles cardinales [a], [i] et [u] sont celles qu’on trouvera dans la majorité des langues. En plus de ces trois voyelles, le français utilise presque toutes les voyelles de l’API et de surcroit les voyelles dites « nasales », comme « on », « an », « in » et parfois même « un », notées [ɔ], [ɑ], [ɛ] et [ ] respectivement.







III/ Les diacritiques


En sus des symboles spécifiques aux consonnes et aux voyelles, l’API utilise de nombreaux diacritiques, pour noter les sons plus précisément. Par exemple, les plus importants sont les suivants :

  • Le petit « h » noté en indice signifie que la consonne est aspirée. Dans certaines langues, un [p] et un [ph] sont dits « distinctifs », c’est à dire que, toutes choses égales par ailleurs, [p] et [ph] donneront deux sens différents.
  • Le petit rond, placé sous une lettre voisée, signifie que ce son a été prononcé légèrement dévoisé mais pas complètement. Inversement, le petit circonflexe en dessous d’une consonne non-voisée signifie que ce son a été prononcé légèrement voisé.
  • Le « tilde », [ ̃], note qu’un son est nasalisé : l’air ne passe plus seulement par la bouche mais aussi par les fosses nasales.
  • Les tons, pour les langues qui en ont (surtout les langues asiatiques et les langues africaines) sont notés comme suit : avec des accents au-dessus ( ˉ, , , etc.) ou avec des barres à côté ( ).
  • L’accent de mot peut également être distinctif (en italien par exemple, « c pito » = j’arrive vs. « cap to » = compris vs. « capit » = il arriva) : il se note avec une apostrophe juste avant la syllabe accentuée : [ˈkapito] vs. [kaˈpito] vs. [kapiˈto].