Turc : grammaire
Quelques difficultés potentielles du français pour les locuteurs du
TURC
Marie Laurence Knittel
Université de Lorraine & UMR 7118 ATILF
Carte de Turquie
4.1. Le système graphique du turc
4.2. La réforme et le développement de la langue turque (Mustafa Kemal)
5. Caractéristiques marquantes
chapitre 2 : La phrase et le complexe verbal
1.1. Ordre des constituants dans la phrase
1.2. Phrases du type 'GN être + Adjectif'
1.3. Equivalents des phrases françaises à verbe 'avoir'
2. Le verbe et la morphologie verbale
4.2. Subordonnées dépendant des verbes de perception ('voir',
'entendre', etc.) et du type 'croire'
chapitre 3 : Le groupe nominal
3. La détermination et l'opposition defini / indéfini
3.3. L'expression de l'indéfini
6.1. Subordonnées en (y)an / (y)en
Annexe : Système phonétique et rapport graphie/phonie
Le turc est la langue officielle de la Turquie, située en Asie mais dont une partie (dont Istanbul) est sur le continent européen. La Turquie compte 75 millions d'habitants[1] (2012). Le turc est parlé par plus de 70 millions de locuteurs, à la fois en Turquie et hors de la Turquie (pays environnants la Turquie, Allemagne, Chypre).
• La Turquie est un territoire peuplé de longue date. Dans l'Antiquité, ce territoire a été colonisé par les Grecs (entre -1100 et -800) qui y ont fondé des cités (Milet, Phocée, etc..) d'abord sur la côte égéenne (côte ouest), puis tout autour des côtes (Mer Noire et Méditerranée). Il porte traditionnellement le nom d'Asie Mineure.
• Vers -500, le territoire intérieur est rattaché à l'empire des Perses (Darius), arrivés d'Iran, jusqu'en -300, il est reconquis par Alexandre.
• Il devient ensuite romain (-100). Constantinople devient la capitale de l'Empire Romain d'Orient.
• Entre 1000 et 1450, effondrement de l'Empire sous l'avancée des Turcs (Seldjoukides puis Ottomans).
• Les Turcs : il s'agit de tribus semi-nomades et guerrières, originaires de la région située entre le lac Baïkal et la Mer Caspienne. Ils envahissent ce qui reste de l'Empire Romain d'Orient ; ce territoire colonisé sera d'abord appelé Empire Ottoman (jusqu'en 1923), puis Turquie.
Le turc appartient à la famille des langues ouralo-altaïques, famille de langues parlées entre l'Altaï (à l'Est) et l'Oural (à l'Ouest).
• Le territoire de la famille ouralo-altaïque s'étend de la mer Caspienne au nord de la Chine. Il correspond aux républiques du Turkmenistan, de l'Ouzbekistan, du Kirghiztan, à la province du Xinjiang en Chine, et à la Mongolie. S'y ajoutent l'Est de la Sibérie et la Yakutie, au nord-est de l'ex-URSS.
• Au sein des langues ouralo-altaïques, le turc appartient à la branche des langues turco-mongoles.
• Outre le turc, la famille des langues turques comporte les langues parlées autour de la Mer Caspienne : azéri, turkmène, ouzbek, kirghize, ouigour, kazakh, bashkir et tatar. L'azeri est la langue la plus proche du turc, leurs différences sont minimes, et similaires à celles qui distinguent le français du Quebec au français parlé en France.
On remarquera que le turc est la langue la plus excentrée (à l'Ouest) de sa famille.
La famille turque comporte environ 200 millions de locuteurs. Par comparaison, les langues mongoles comptent entre 5 et 7 millions de locuteurs.
4.1. Le système graphique du turc
Jusqu'en 1926, le turc, langue d'un pays musulman, utilisait l'écriture arabe. Cet alphabet était toutefois mal adapté au turc. En effet, le système phonétique du turc se distingue nettement de celui de l'arabe, en particulier en ce qui concerne les voyelles : le turc dispose de 8 voyelles, clairement distinctes ; l'alphabet arabe au contraire n'en note que trois.
La réforme de l'alphabet est due à Mustafa Kemal (ou Atatürk, 1881-1938), qui accède au pouvoir en 1919-1920. Cette réforme s'inscrit dans une politique plus vaste d'européanisation et de laïcisation de la Turquie. Ainsi, Kemal commence par faire adopter les chiffres internationaux, plus aisément utilisables que les chiffres turcs en usage jusqu'alors.
La réforme de l'écriture du turc s'inscrit dans un mouvement plus vaste et légèrement antérieur, qui concerne toutes les langues turques : lors d'un congrès sur ces langues (Bakou, 1926), on constate que pas moins de 57 alphabets étaient utilisés pour les transcrire. A l'issue de ce congrès, on adopte l'usage des caractères latins pour toutes les langues turques du bloc soviétique.
4.2. La réforme et le développement de la langue turque (Mustafa Kemal)
En 1926, sous la direction d'Atatürk, l'assemblée nationale nomme une commission pour imposer l'usage du turc. Le turc devient alors la seule langue autorisée dans la vie publique : menus de restaurants, administrations, affaires... A la rentrée scolaire de 1928, on impose l'usage des caractères latins dans les écoles et pour l'enseignement du turc.
En 1932 est fondée une Société d'Etude de la Langue Turque, dont le but est d'étudier l'histoire du turc et des langues apparentées mais surtout d'élaborer un dictionnaire et une grammaire de la langue. Cette commission a également pour mission de réformer le vocabulaire en ôtant au maximum les emprunts au persan et à l'arabe pour les remplacer par des termes turcs (mêmes anciens) ou par des mots européens.
Les mots empruntés à des langues étrangères sont nombreux en turc ; les plus anciens sont arabes ou persans, mais depuis le XX° siècle, on relève de nombreux emprunts aux langues européennes, dont le français. On en rencontre dans tous les domaines :
Professions : kuaför ; filozof
Sciences : formül, enerji
Médecine : aküponktür
Logement : tuvalet (toilette), lojman, konfor
Vêtements : dekolte, manto (femme)
Transports : mobilet, otostop
Dans certains cas, l'emprunt est en concurrence avec un terme turc : koton / pamuk, otomobil / araba.
Les emprunts sont intégrés dans la langue, et sont utilisés pour former des termes dérivés à l'aide de suffixes turcs :
kapris : caprice kaprisli : capricieux
konfor : confort konforlu : confortable / konforsuz : inconfortable
otostop : auto-stop otostopçu : autostoppeur
5. Caractéristiques marquantes
Le turc est une langue dite agglutinante, ce qui signifie qu'à une base (un 'mot') peuvent être ajoutés de nombreux suffixes, porteurs d'informations qui, dans d'autres langues, seraient exprimées par d'autres mots autonomes.
1. Suffixes verbaux :
gel : donner
gel-me : ne pas donner
gel-e-me : ne pas pouvoir donner
gel-e-me-di : n'avoir pas pu donner
gel-e-me-di-niz : vous n'avez pas pu donner
2. Suffixes nominaux
ev : maison
ev-ler : maisons
ev-ler-iniz : vos maisons
ev-ler-iniz-de : dans vos maisons
Le turc est caractérisé par le phénomène d'haronie vocalique, qui régit les règles de combinaison des voyelles à l'intérieur des mots et dans la forme des suffixes. Plus précisément, l'harmonie vocalique spécifie quelles sont les voyelles qui peuvent se succéder.
• La règle, formulation 'pratique' :
la voyelle a ne peut être suivie que par elle-même et I et vice-versa
——— e ———————————————— et i et vice-versa
——— o ———————————————— et a, u
——— ö ———————————————— et e, ü
——— u ———————————————— et a
——— ü ———————————————— et e
• Une conséquence de la règle d'hamonie vocalique est que chaque suffixe a plusieurs formes qui varient selon leurs voyelles, et sont choisies selon les voyelles de la base.
- Voyelles des suffixes à 2 formes : toujours [e, a] :
3. ev : maison ev-ler : maisons ev-e : à la maison
kitap : livre kitap-lar : livres kitap-a : au livre
- Voyelles des suffixes à 4 formes : toujours [I, u, i, ü]
4. gör-düm : j’ai vu al-dIm : j’ai pris ol-dum : j’ai appris gel-dim : je suis venu
köy-ü : son village kItab-I : son livre yol-u : sa route el-i : sa main
Difficultés potentielles :
• Le turc utilise le même système graphique que le français, mais
- (i) il emploie différemment certains diacritiques (cédille : ş, trémas ö, ü, points i / I, etc) ;
- (ii) associe différemment les lettres et les sons auxquelles elles correspondent : ş prononcé "ch" ; c prononcé "dj", ç prononcé "tch".
Il peut en résulter des difficultés de lecture pour les apprenants du français ayant été scolarisés précédemment en Turquie (façade, reçu, cercle, racine, etc.).
• L'harmonie vocalique turque peut entraîner des difficultés de prononciation de certains mots français, s'il n'y sont pas conformes (Paris, balai, vélo, etc.)
• Par ailleurs, même si les variantes morphophonologiques / graphiques des suffixes turcs sont nombreuses, le système se caractérise par une grande régularité, ce qui n'est pas le cas du français (cf. par exemple conjugaison des verbes dépendante du groupe : courront / mangeront / partirons ; variation des formes orales de féminin des adjectifs : grosse / lente / belle ; etc)
Il existe 6 cas en turc, dont 5 sont marqués par des suffixes :
Cas
Fonction syntaxique
suffixes
(selon l'harmonie vocalique)
Exemple
Nominatif
Sujet
— (pas de suffixe)
kIz gitti
la fille est venue
Accusatif
Objet Direct (si défini)
i / I / u /ü
kIzI gördüm :
j'ai vu la fille
Génitif
Complément du Nom
in / In / un /ün
kIzIn evi :
la maison de la fille
Datif
Complément d'attribution (bénéficiaire) —
Complément de lieu (but)
a / e
KIza çay verdi :
il a donné du thé à la fille
KIz eve gitti :
la fille va à la maison
Locatif
Complément de lieu (position)
da / ta / de / te
KIz evde çalIşIyor :
la fille travaille à la maison
Ablatif
Complément de lieu (origine)
dan / tan / den / ten
KIz evden geliyor :
la fille vient de la maison
• Exemples :
5. KIz geldi. 'La fille est arrivée.'
fille-Nom est arrivée
6. KIz-I gördü. 'Il a vu la fille.'
fille-Acc il a vu
7. a. KIz-a çay verdi. 'Il a donné du thé à la fille.'
fille-Dat thé il a donné
b. Ev-e gitti. 'Il est allé à la maison.'
maison-Dat il est allé
8. KIz-In ev-i 'la maison de la fille' (lit. 'de la fille sa maison')
fille-Gen maison-Poss
9. Vapur-da kahve içti. 'Il a bu du café dans le bateau.'
bateau-Loc café il a bu
10. Otobüs-ten vapur-a gitti. 'Il est allé du bus au bateau.'
bus-Abl bateau-Dat il est allé
2. La phrase et le complexe verbal
1.1. Ordre des constituants dans la phrase
Le turc est une langue de type SOV. Le verbe apparaît systématiquement en position finale.
Le sujet précède le verbe. L'ordre des mots est donc identique à celui du français, pour ce type de phrase.
1. a. KIz gel-di. '{La / une} fille est arrivée.'
fille arriver-Passé-3Sg
b. Çocuk-lar git-ti(ler). 'Les enfants sont partis.'
enfant-Pl partir-Passé(-3Pl)
2. a. KIz uyu-du. '{La / une} fille a dormi.'
fille dormir-Passé-3Sg
b. Çocuk-lar koş-tu(lar). 'Les enfants ont couru.'
enfant-Pl courir-Passé(-3Pl)
Dans une phrase stylistiquement neutre, le sujet est l'élément initial de la phrase, et le verbe l'élément final. Les autres constituants sont insérés entre les deux.
Le sujet est en première position, l'objet précède le verbe, qui apparaît en position finale.
3. a. KIz kitap oku-du. 'La fille a lu {un / des} livres.'
fille livre lire-Passé-3Sg
b. KIz kitab-I oku-du. 'La fille a lu le livre.'
fille livre-Acc lire-Passé-3Sg
D'une manière générale, les autres constituants sont placés entre le sujet et le verbe.
4. KIz çocuğ-a bir elma verdi. 'La fille a donné une pomme à l'enfant.'
fille-Nom enfant-Dat une pomme a donné
5. Ev-de ocuk-lar-I gördüm. 'J'ai vu les enfants à la maison.'
maison-Loc enfants-Acc j'ai vu
6. Otobüs-ten vapur-a gitti. 'Il est allé du bus au bateau.'
bus-Abl bateau-Dat il est allé
• Les exemples (5,6) indiquent que le sujet pronominal n'est généralement pas exprimé (cf. Chapitre 3, section 7.2)
• Les adverbes ou circonstants temporels apparaissent soit en tête de phrase, soit immédiatement à droite du sujet.
7. a. Bu sabah köprü-de Ahmed-i gördüm. 'Ce matin, j'ai vu Ahmet sur le pont.'
ce matin pont-Loc Ahmet-Acc j'ai vu
b. Ahmet dün Ankara-ya gitti. 'Ahmet est allé à Ankara hier.'
Ahmet hier Ankara-Dat est allé
On voit donc que l'ordre neutre des constituants est assez radicalement différent en turc et en français.
1.2. Phrases du type 'GN être + Adjectif'
Il n'y a pas de verbe correspondant à être pour introduire les adjectifs attributs. Les marques d'accord et de passé (di) sont directement suffixées à l'adjectif (le présent a une marque zéro) :
8. a. (Ben) hasta-yim. b. (Ben) hasta-ydI-m.
(Moi) malade-1sg (moi) malade-Passé-1sg
'(Moi) je suis malade.' '(Moi) j'étais malade.'
Il existe par contre un verbe 'ne pas être' : değil , qui porte les marques de temps et d'accord avec le sujet :
9. a. (Ben) hasta değil-im. b. (Ben) hasta değil-di-m.
(moi) malade ne.pas.être-1sg (moi) malade ne.pas.être-Passé-1sg (Moi) je ne suis pas malade.' '(Moi) je n'étais pas malade.'
Difficultés potentielles en français :
• La présence obligatoire de être dans les phrases affirmatives du français peut être une source de difficultés d'acquisition :
*la petite fille il debout pour : la petite fille elle est debout
De ce fait, il peut être judicieux de présenter les phrases affirmatives et négatives en parallèle.
1.3. Equivalents des phrases françaises à verbe 'avoir'
Un autre verbe-copule ('être') dénotant l'existence, var, est employé pour exprimer la 'possession' ('avoir quelque chose') avec un sujet au génitif. Il a pour contrepartie négative yok. Var et yok peuvent se combiner avec la marque du passé (di/tu) :
10. a. AlI-nIn ev-i var(dI). b. AlI-nIn ev-i yok(tu).
Ali-Gen maison-Poss être(-Passé) Ali-Gen maison-Poss ne.pas.être(-Passé 'Ali {a/avait} une maison.' 'Ali {n'a/n'avait} pas de maison.'
[litt. 'A Ali {est/était} sa maison.'] [litt. A Ali sa maison n'était pas]
]
Var / yok apparaissent également dans l'expression d'existence correspondant à 'il (n')y a (pas)' en français :
11. a. Rüzgar var(dI). b. Rüzgar yok(tu).
du vent est/était du vent n'est pas / n'était pas
'Il y {a/avait} du vent.' 'Il {n'y {a/avait} pas de vent.'
c. Ev-de köpek var(dI). d. Ev-de köpek yok(tu)
maison-Loc chien est/était maison-Loc chien n'est/était pas
'Il y {a/avait} un chien dans la maison.' 'Il n'y {a/avait} pas de chien dans la maison.'
Difficultés potentielles en français :
• On observe des confusions entre l'emploi de être et celui de il y a :
et après elle est une pierre pour : et après il y a une pierre
le chien et le garçon regardent dans le bidon, il y est pas le grenouille pour : il (n') y a pas la grenouille
De ce fait, il paraît important d'insister sur la distinction entre ces deux expressions et leurs valeurs.
2. Le verbe et la morphologie verbale
• La morphologie verbale est particulièrement riche en turc, dans la mesure où elle se compose non seulement des marques de flexion de type temps / mode et personne (cf. sections ci-dessous), mais également d'un certain nombre de suffixes (appelés par convention 'affixes 0' dans les exemples ci-dessous, qui ont pour contrepartie en français des mots indépendants (souvent des verbes ou des auxiliaires).
• La modalité 'pouvoir' : abil / ebil
12. a. koş : 'courir' koş+abil : 'pouvoir courir'
b. gel : 'venir' gel+ebil : 'pouvoir venir'
• La négation : ma / me
13. a. koş : 'courir ' koş+ma: 'ne pas courir'
b. sev : 'aimer' gel+me : 'ne pas aimer'
• Le passif : il / Il / ul / ül
14. a. yaz : 'écrire' yaz+Il : 'être écrit'
b. sev : 'aimer' sev+il : 'être aimé'
• Le factitif : dir / dIr / dur / dür / tir / tIr / tur / tür
15. a. koş : 'courir' koş+tIr : 'faire courir'
b. gel : venir gel+dir : 'faire venir'
Ces affixes sont combinables entre eux.
Schématiquement, une forme verbale en turc se présente comme suit :
Base verbale (+affixe 0) + Suffixe 1 + Suffixe 2 + Accord
• Suffixes susceptibles d'apparaître dans la position 1 :
- yor : équivalent du progressif anglais, indique une action en cours ;
- er : appelé aoriste, il s'agit d'un présent dit 'de généralité', il est utilisé pour exprimer des vérités générales ou l'habitude ;
- ecek : futur ;
- miş : passé rapporté. Il est employé pour relater des faits dont le locuteur n'a pas été témoin.
16. a. Koş-Iyor. 'Il est en train de courir.'
courir-Prog -3sg
b. Gel-er. 'Il a l'habitude de venir.'
venir-PrHab -3sg
c. Sev-ecek bu kitab-I. 'Il aimera ce livre.'
aimer-Fut -3sg ce livre-Acc
d. Al-mIş kitab-I. 'Il paraît qu'il a pris le livre.'
prendre-PasséR.-3sg livre-Acc
Il est à noter qu'il n'existe pas de présent simple, au sens où on l'entend pour le français (je marche, il dort, etc.). Les locuteurs du turc emploient pour cela les formes en yor (voir aussi 16a) :
17. Oku-yor-um. 'Je lis / je suis en train de lire.'
lire-Prog -1sg
Les formes en -er permettent d'exprimer le présent d'habitude (voir 16b) :
18. Oku-r-um. 'Je lis / j'ai l'habitude de lire.'
lire-Pr.Hab-1sg
• Suffixes susceptibles d'apparaître dans la position 2 :
- miş : cf. ci-dessus
- di : passé perfectif ; il est utilisé pour décrire des événements terminés, sauf en combinaison avec yor, correspondant à l'imparfait. Cet affixe a un statut particulier, car il sélectionne un paradigme spécifique de conjugaison (cf. section 2.2. ci-dessous).
Les combinaisons possibles et leurs valeurs sémantiques sont illustrées dans les exemples ci-dessous.
19. a. Oku-yor-du-m. 'Je lisais / j'étais en train de lire.'
lire-Prog-Passé-1Sg
b. Oku-r-du-m. 'Je lisais / j'avais l'habitude de lire.'
lire-Aor-Passé-1Sg
c. Oku-yacak-tı-m. 'J'allais lire.'
lire-Fut-Passé-1Sg
d. Oku-muş-tu-m. 'J'avais lu, paraît-il.'
lire-PasséR-Passé-1Sg
20. a. Oku-yor-muş-um. 'Je suis / j'étais en train de lire, paraît-il.'
lire-Prog-PasséR-1Sg
b. Oku-r-muş-um. 'Il paraît que j'ai / j'avais l'habitude de lire.'
lire-Aor-PasséR-1Sg
c. Oku-yacağ-mış- ım. 'Il paraît que je vais / que j'allais lire.'
lire-Fut-PasséR-1Sg
d. Oku-muş-muş-um. 'Il paraît que j'avais lu.'
lire-PasséR-PasséR-1Sg
Difficultés potentielles en français :
Les turcophones apprenant le français doivent apprendre un nouveau paradigme de distinctions sémantiques, et des structures morphologiques (formes verbales composées), qui n'existent pas en turc. En outre, la morphologie verbale du turc est plus régulière que celle du français. L'ensemble de ces facteurs occasionne de nombreuses erreurs :
- une souris a mordé son nez (pour : mordu son nez)
- et sorta un hibou (pour : sortit)
- la petite prendre un chapeau (pour : prend ou prit)
- le garçon il a monté sur une branche (pour : il est monté)
Deux séries de suffixes verbaux marquant la personne coexistent en turc. Le choix entre ces deux paradigmes dépend de la marque de temps qui les précède (cf. ci-dessus).
serie 1
série 2
temps = -di
autres temps
(yor / er/ecek/mis)
Singulier
1°
-m
-Im / im / um / üm
2°
-n
-sIn /sin / sun / sün
3°
-ø
(-dIr /dir / dur / dür)
Pluriel
1°
-k
-Iz / iz / uz / üz
2°
-nIz / niz / nuz / nüz
-sInIz /siniz / sunuz / sünüz
3°
-lar / ler
(-dIrlar / dirler / durlar / dürler / lardIr / lerdi )
• On relèvera les spécificités de la marque de pluriel ler / lar.
D'une part, cette marque est identique à la marque de pluriel nominale (cf. chapitre 2). D'autre part, elle est facultative lorsque le sujet au pluriel est explicite.
21. a. Çocuklar {git-ti-ler / git-ti}. 'Les enfants sont partis.'
enfant-Pl partir-Passé-3Pl / partir-Passé
b. Gitti. 'Il / elle est parti(e).'
partir-Passé-3Sg
c. Gittiler. 'Ils / elles sont parti(e)s.'
partir-Passé-3Pl
Difficultés potentielles en français :
Les apprenants turcophones doivent comprendre que l'accord en nombre du prédicat avec le sujet est obligatoire en français ; ce point peut entraîner des difficultés :
les abeilles sort pour : les abeilles sortent
Les questions oui/non se construisent au moyen de la particule interrogative mi / mI / mu / mü, glosée par "Q", placée en position finale de la phrase.
22. a. Geldi. b. Geldin mi ?
venir-Passé venir-Passé q
'Il/elle est venu(e). 'Es-tu venu(e) ?'
c. KIzI gördü. d. KIzI gördü mü ?
fille-Acc voir-Passé fille-Acc voir-Passé q
'Il/elle a vu la fille.' 'A-t-il vu la fille ?'
• Les questions partielles se forment au moyen d'expressions interrogatives telles que les suivantes :
kim 'qui' nere 'où ' niye / neden 'pourquoi'
ne 'que, quoi' hangi 'quel' nasIl 'comment' ne zaman 'quand'
• L'expression interrogative peut occuper deux positions : soit immédiatement à gauche du verbe (exemples (a) ci-dessous), soit dans la position qu'occuperait le syntagme non interrogatif correspondant (exemples (b)).
23. a. Bu kitabI kim okudu ? 'Qui a lu ce livre ?
ce livre qui a lu
b. Kim bu kitabI okudu ? 'Qui a lu ce livre ?'
qui ce livre a lu
c. Hasan bu kitabI okudu 'Hasan a lu ce livre'
Hasan ce livre a lu
24. a. Hasan bu kitabI ne zaman okudu ? 'Quand Hasan a-t-il lu ce livre ?'
Hasan ce livre quand a lu
b. Ne zaman Hasan bu kitabI okudu ? 'Quand Hasan a-t-il lu ce livre ?'
quand Hasan ce livre a lu
c. Dün Hasan bu kitabI okudu 'Hasan a lu ce livre hier.'
hier Hasan ce livre a lu
Les pronoms interrogatifs sont marqués pour le cas au même titre que les syntagmes nominaux correspondants.
25. Hasan ne-yi okudu ? 'Qu'a lu Hasan ?'
Hasan quoi-Acc a lu
26. Hasan bu kitabI kim-e verdi ? 'A qui Hasan a-t-il donné ce livre ?'
Hasan ce livre qui-Datif a donné
Difficultés potentielles en français :
A l'écrit, les turcophones doivent apprendre à placer à l'initiale de la phrase les expressions interrogatives correspondant aux compléments du verbe, qui ne sont pas en position initiale en turc :
TURC FRANCAIS
Hasan ne-yi okudu ? 'Qu'a lu Hasan ?'
Hasan quoi-Acc a lu
Hasan bu kitabI kim-e verdi ? 'A qui Hasan a-t-il donné ce livre ?'
Hasan ce livre qui-Datif a donné
Contrairement au français, où les subordonnées sont construites sur un modèle unique (de type Principale + conjonction + subordonnée), le turc présente différents types de subordination, selon le type de verbe de la principale ou la nature de la subordonnée.
Les subordonnées introduites par ki (que) sont les plus proches de celles du français ; elles présentent le même ordre des mots que les déclaratives (cf. section 1.1. ci-dessus) et se positionnent à droite du verbe. Elles contiennent une forme de conjugaison spécifique : l'optatif, marqué par e suivi d'un suffixe personnel :
27. Istiyorum [ki yanIn sinema-ya gel-e-sin].
je veux [que demain cinéma-Datif aller-Opt-2Sg
'Je veux que tu ailles au cinéma demain.'
Difficultés potentielles en français :
La généralisation d'un mode unique, l'optatif, dans les subordonnées du turc peut laisser supposer que les locuteurs turcophones pourraient avoir des difficultés à manipuler les divers temps et modes dans les subordonnées du français (je veux qu'il vienne vs je sais qu'il viendra / qu'il vient / qu'il est venu).
4.2. Subordonnées dépendant des verbes de perception ('voir', 'entendre', etc.) et du type 'croire'
Placées immédiatement à gauche du verbe principal (en position COD), elles se construisent au moyen d'un verbe fléchi pour le temps mais sans marque d'accord et se caractérisent par leur sujet à l'accusatif. L'ordre des syntagmes dans la subordonnée est identique à celui de la phrase indépendante (sujet en tête, verbe final).
28. Hasan [sen-i yer-de yat-ar] gör-dü.
Hasan [toi-Acc sol-Datif coucher-Aor] voir-Passé
'Hasan t'a vu couché sur le sol.'
29. Hasan [sen-i sinema-ya git-ti] san-Iyor.
Hasan [toi-Acc cinéma-Datif aller-Passé] croire-Progressif
Lit. 'Hasan te croit allé au cinéma hier.' ('Hasan croit que tu es allé au cinéma hier.')
Dans de nombreux cas, ce que le français exprime au moyen de subordonnées est rendu en turc par des phrases nominalisées de forme 'possessive', comportant un sujet au génitif et un suffixe possessif, et caractérisées par une marque de cas.
30. Ahmet [dün sinema-ya git-tiğ-in]-i söyle-di.
Ahmet [hier cinéma-Datif aller-Passé-ğ-3sg Poss]-Acc dire-Passé
Lit. : Ahmet a dit son aller au cinéma hier.
'Ahmet a dit qu'il était allé au cinéma hier.'
31. [Ahmed-in öl-düğ-ün]-ü duydum.
[Ahmet-Genitif mourir-Nomin-3Sg]-Acc entendre-Passé-1Sg
Lit. 'J'ai entendu à Ahmet sa mort.'
'J'ai entendu qu'Ahmet était mort.'
32. [Ahmed-in öl-me-sin]-den korku-yor-dum.
[Ahmet-Genitif mourir-Nomin-3Sg]-Abl craindre-Prog-1Sg
Lit. 'Je craignais à Ahmet sa mort.'
'Je craignais qu'Ahmet ne meure.'
Alternativement, le sujet peut apparaître au nominatif, si le verbe porte une marque d'accord :
33. Hasan [sen sinema-ya git-ti-n] san-Iyor.
Hasan [tu cinéma-Datif aller-Passé-2sg] croire-Progressif
'Hasan croit (que) tu es allé au cinéma hier.'
• Il n'y a pas de genre en turc. Lorsque le nom renvoie à un animé, la distinction sexuelle peut être non marquée :
1. a. oyuncu : 'acteur /actrice' b. öğrenci : 'étudiant/étudiante'
• Pour préciser la distinction sexuelle, différents moyens sont utilisés :
- un lexème différent pour chaque sexe :
2. a. horoz : 'coq' tavuk : 'poule'
b. karI : 'époux' koca : 'épouse'
- pour les animaux, l'utilisation des mots erkek 'mâle' et dişi 'femelle' :
3. a. kedi : 'chat' (erkek) kedi : 'chat (mâle)' dişi kedi : 'chat femelle' (chatte)
ayI : 'ours' (erkek) ayI : 'ours (mâle)' dişi ayI : 'ours femelle' (ourse)
- pour les humains, l'utilisation des noms kIz 'fille' bayan 'dame' ou kadIn 'femme' :
4. a. (erkek) kardeş : 'frère' (garçon) kIz kardeş : 'frère-fille' (soeur)
b. garson : 'serveur' kadIn garson : 'serveur femme' (serveuse)
c. öğretmen : 'instituteur' bayan öğretmen : 'femme-instituteur' (institutrice)
Difficultés potentielles en français :
• Le genre : l'acquisition de l'opposition de genre est problématique, non seulement vis-à-vis des noms mais aussi des pronoms et des adjectifs :
ex. : y avait un gronouille pour : une grenouille
les abeilles ils commencent à le courser pour : elles commencent à le courser
il le cherche pour : il la cherche
ils ont vu de petits grenouilles pour : de petites grenouilles
La généralisation du genre à tous les noms, y compris inanimés (le chou/la carotte), doit faire l'objet d'un entraînement spécifique de la part d'un turcophone.
• Le turc marque l'opposition singulier / pluriel sur le nom au moyen du suffixe de pluriel lar / ler :
5. a. kIz : fille kIzlar : filles
b. ev : maison evler : maisons
• Cependant, la distribution du nombre est très différente de ce qu'on observe en français, sur deux points :
(i) un nom interprété comme indéfini ne peut pas apparaître au pluriel ; les noms pluralisés comme evler et kIzlar seront sont donc compris comme définis (les maisons, les filles). A contrario, un nom indéfini est toujours au singulier, et interprété comme 'neutre' pour le nombre, cf. section 3.2. ci-dessous.
6. kitap okudu '{Il / elle} a lu {un / des} livres.'
livre lire-Passé-3sg
(ii) Si le nom est précédé d'un numéral ou d'un quantifieur de pluralité, il ne prend pas la marque lar / ler :
7. a. iki köy : 'deux villages' *iki köy-ler
c. üç bahçe : 'trois jardins' *üç bahçe-lar
d. çok / kaç ev : 'beaucoup / combien de maisons' *çok/kaç ev-lar
Difficultés potentielles en français :
• L'opposition singulier / pluriel : en français écrit, le marquage du pluriel sur le nom en présence d'un numéral (deux chienS) peut être une source d'erreur (ex. *deux chien). A l'oral, aucune difficulté prévisible puisque le pluriel n'est pas audible en français, sauf pour une petite liste de noms (chevaux, travaux, yeux, etc.) à mémoriser.
3. La détermination et l'opposition defini / indéfini
Le système de la détermination du turc est très différent de celui du français.
Il n'y a qu'un seul article : bir 'un', mais ses conditions d'emploi sont différentes de celles de un(e) en français.
8. a. bir köy : 'un village'
b. bir kIz : 'une fille'
Il n'y a ni article défini, ni article indéfini pluriel ou partitif.
9. a. kahve : 'du café'
b. kIz : 'la fille
c. kIzlar : 'les filles'
Difficultés potentielles en français :
• Les articles sont fréquemment omis en français par les apprenants turcophones :
garçon il rigole pour : le garçon il rigole
chien regardait là pour : le chien il regardait là
Toutefois l'opposition sémantique qu'on rencontre en français entre une fille et la fille n'est pas totalement inconnue des locuteurs turcs, car une distinction analogue est signalée dans cette langue par la présence ou absence d'une marque de cas accusatif sur l'objet direct.
Les objets directs (OD) ne sont marqués pour le cas accusatif que s'ils sont sémantiquement définis ou spécifiques, c'est-à-dire qu'ils renvoient à des objets particuliers, et non quelconques.
(i) OD Définis : L'objet défini est identifié comme tel par la présence du cas accusatif (10a) ; l'objet indéfini ne porte pas cette marque (10b).
10. a. KIz-a çay-I verdi 'Il a donné le thé à la fille.'
fille-Dat thé-Acc il a donné
b. KIz-a çay verdi. 'Il a donné du thé à la fille.'
fille-Dat thé il a donné
(ii) OD Spécifiques
Un objet direct indéfini spécifique ('un certain N') prend la marque d'accusatif.
A nouveau, on oppose :
11. a. Bir kIz gördü. 'Il a vu une fille (j'ignore laquelle).'
une fille il a vu
b. Bir KIz-I gördü. 'Il a vu une (certaine) fille.'
une fille-Acc il a vu
Difficultés potentielles en français :
Même si l'accusatif en turc permet de rendre compte de l'un des emplois de l'article défini, les autres valeurs de l'article défini du français (il y a une tasse et une soucoupe sur la table, apporte-moi la soucoupe, la baleine est un mammifère, soulève le couvercle de la marmite, etc.) méritent une attention particulière pour les apprenants turcophones.
3.3. L'expression de l'indéfini
L'expression de l'indéfini est assez différente en turc et en français. Le principe général est qu'un nom turc à valeur indéfinie apparaît 'nu', c'est-à-dire sans déterminant ni marque de pluriel et qu'il peut être compris indifféremment comme singulier ou pluriel :
12. KIz gördü. 'Il a vu une/des fille(s).'
fille il a vu
D'autre part, le pluriel est toujours associé à une lecture définie. En conséquence, l'article bir et le pluriel turc ont un emploi beaucoup plus restreint que un et le pluriel en français. Quelques exemples contrastifs sont donnés en (13) :
13.
exemple
sens
traductions possibles en
français
kitap okudu
livre a lu
il / elle a lu un certain nombre d'objets de la classe Livre
'{Il / elle} a lu un livre.'
'{Il / elle} a lu des livres.'
bir kitap okudu
un livre a lu
il / elle a lu un exemplaire de la classe Livre
'{Il / elle} a lu un livre.'
kitabI okudu
livre-Acc a lu
il / elle a lu le livre (en question, dont on vient de parler)
'{Il / elle} a lu le livre.'
kitaplarI okudu
livre-Pl-Acc a lu
il / elle a lu les livres (en question, dont on vient de parler)
'{Il / elle} a lu les livres.'
Il existe trois démonstratifs en turc, qui, en plus de bir, des numéraux et des expressions de quantité, sont les seuls éléments dont le fonctionnement est similaire à celui des déterminants du français :
- bu : qui indique la proximité par rapport au locuteur (cf. 'ce N-ci')
- şu : qui indique un certain éloignement ('ce N près de toi')
- o : qui indique un éloignement encore plus grand ('ce N loin de nous')
14. bu köy : 'ce village(-ci)' bu köy-ler : 'ces villages(-ci)'
şu köy : 'ce village(-là)' şu köy-ler : 'ces villages(-là)'
o köy : 'ce village (là-bas)' o köy-ler : 'ces villages (là-bas)'
Difficultés potentielles en français :
Le fait que là soit neutre pour l'obviation le rend différent de şu ; de ce fait, les deux systèmes sont différents, ce qui peut rendre nécessaire un enseignement spécifique.
• Les démonstratifs turcs, en tant que déterminants, sont invariables.
• Comme en français, les démonstratifs peuvent être utilisés pour marquer le caractère défini d'un SN.
15. Garda bir adam-la tanIş-tI-m. O adam siya bir sapka taş-Iyor-du.
à la gare un homme-avec rencontrer-Passé-1sg. Cet homme noir un chapeau porter-Prog-Passé-3sg.
'A la gare j'ai rencontré un homme. Cet homme portait un chapeau noir.'
Il n'y a pas de "déterminants possessifs" en turc. L'expression de la relation dite possessive se fait au moyen de suffixes personnels attachés au nom (16). Le nom possessivisé est donc en quelque sorte "conjugué" pour la personne (comparer hasta-yim 'je suis malade', ev-im 'ma maison'). Pour marquer l'emphase (contraste) sur le Possesseur, on fait en outre précéder le nom d'un pronom personnel au génitif (17) :
16. ev = 'maison'
'ma maison'
ev-im
maison-1Sg
'notre maison'
ev-imiz
maison-1Pl
'ta maison'
ev-in
maison-2Sg
'votre maison'
ev-iniz
maison-2Pl
'sa maison'
ev-i
maison-3Sg
'leur maison'
ev-leri
maison-3Pl
17.
'ma maison à moi'
benim ev-im
moi maison-1Sg
'notre maison à nous'
bizim ev-imiz
nous maison-1Pl
'ta maison à toi'
senin ev-in
toi maison-2Sg
'votre maison à vous'
sizin ev-iniz
vous maison-2Pl
'sa maison à lui/elle'
onun ev-i
lui/elle maison-3Sg
'leur maison à eux'
onlarIn ev-leri
eux/elles maison-3Pl
Lorsque le Possessum ("objet possédé" : ici maison) est pluriel, le suffixe possessif suit la marque de pluriel.
18.
'mes maisons'
ev-ler-im
maison-Pl-1Sg
'nos maisons'
ev-ler-imiz
maison-Pl-1Pl
'tes maisons'
ev-ler-in
maison-Pl-2Sg
'vos maisons'
ev-ler-iniz
maison-Pl-2Pl
'ses maisons'
ev-ler-i
maison-Pl-3Sg
'leurs maisons'
ev-ler-i
maison-Pl-3Pl
Difficultés potentielles en français :
• Le déterminant possessif, qui est en français un élément prénominal autonome à morphologie complexe, peut être une source de difficulté pour un turcophone.
• Les adjectifs épithètes sont toujours prénominaux en turc. Ils sont invariables en nombre, contrairement aux adjectifs français.
19. a. yeni ev '(la) nouvelle maison'
nouvelle maison
b. yeni ev-ler '(les) nouvelles maisons'
nouvelle maison-Pl
• L'ordre relatif des adjectifs est moins contraint qu'en français. La seule contrainte forte en turc est que les adjectifs doivent précéder le nom. Toutes les séquences de (20) sont donc également acceptables :
20. a. güzel küçük siya oval masa 20'. a. (la/une) belle petite table noire ovale
belle petite noire ovale table
b. oval siya küçük güzel masa b. (la/une) belle petite table ovale noire
ovale noire petite belle table
c. güzel siya oval küçük masa c. *(la/une) petite ovale belle table noire
belle noire ovale petite table
d. siya oval güzel küçük masa d. *(la/une) noire ovale belle table petite
noire ovale belle petite table
• Ordre bir / adjectif
En principe, dans une séquence comportant bir 'un(e)' et un ou plusieurs adjectifs, les adjectifs précèdent bir :
21. küçük beyaz bir ev
petite blanche une maison
'une petite maison blanche'
• Bir précède le(s) adjectif(s) dans deux cas :
- lorsque bir a une valeur numérale (une table (et pas deux)) ;
- lorsque l'adjectif identifie une sous-classe de la catégorie dénotée par le nom.
22. bir küçük ev
une petite maison
'une (seule) maisonnette'
Difficultés potentielles pour l'acquisition des adjectifs français :
• L'accord des adjectifs avec le nom, à l'écrit, et à l'oral lorsqu'il est audible (cf. de petits grenouilles pour : de petites grenouilles)
• La position des adjectifs : il est possible que les turcophones débutants en français tendent à placer tous les adjectifs devant le nom (cf. blanche maison), et à positionner les adjectifs devant le déterminant un.
• L'ordre relatif des adjectifs, plus rigide en français qu'en turc, notamment pour les prénominaux (une belle grande maison / *une grande belle maison).
(i) Comme tous les autres modifieurs du nom, le "complément du nom" (appelé izafet) précède le nom et présente la structure suivante :
Possesseur-Génitif Possessum+Suffixe Personnel
23. a. üniversite-nin profesörler-i 'les professeurs de l'Université'
üniversité-Gen professeurs-3sg
b. hafta-nIn günler-i 'les jours de la semaine'
semaine-Gen jours-3sg
c. çocuğ-un oda-sI 'la chambre de l'enfant'
enfant-Gen chambre-3sg
d. odalarIn kapI-sI 'la porte des chambres'
chambre-pl-Gen porte-3sg
(ii) Le turc dispose également d'une seconde construction possessive proche de la première, mais qui s'en distingue par la forme et le sens :
24. a. üniversite profesörler-i 'des professeurs d'université'
üniversité professeurs-Pl-3sg
b. hafta günler-i 'des jours de semaine'
semaine jours-3sg
c. çocuk oda-sI 'une chambre d'enfant'
enfant chambre-3sg
d. kapI ev-i 'une porte de maison'
porte maison-3sg
Sur le plan de la forme, cette structure diffère de la précédente par l'absence de marque de cas sur le modifieur ('Possesseur'). Sémantiquement, cette construction se distingue de la précédente comme (25a) se distingue de (25b) en français :
25. a. un professeur de l'université
b. un professeur d'université
Il n'existe pas à proprement parler de relatives en turc, dans la mesure où les pronoms relatifs sont absents dans cette langue. Cependant, deux types de structures spécifiques au turc peuvent assumer le même type de fonction que les relatives, c'est-à-dire la subordination à un nom d'une structure comportant un verbe.
6.1. Subordonnées en (y)an / (y)en
Placées (comme les autres modifieurs du nom) à gauche du nom qu'elles modifient, ces subordonnées présentent un ordre des mots similaire à celui des phrases simples (cf. section 1.1. ci-dessus) ; le verbe de la subordonnée est muni du suffixe -en (ou ses variantes), et ne présente pas de marque d'accord.
26. keçiler gir-en bahçe 'le jardin où les chèvres sont entrées'
chèvres entrer-Sfx jardin
Le caractère non fléchi du verbe de la subordonnée rappelle les subordonnées infinitives (un exercice à faire) ou participiales (un passant cherchant son chemin) du français.
[voir également les subordonnées nominalisées, chapitre 2 section 4.3]
Ces subordonnées précèdent — régulièrement — le nom qu'elles modifient, et ont une structure interne analogue à celle des groupes nominaux 'possessivisés' présentés dans la section 5 ci-dessus.
Sujet au génitif + Verbe nominalisé (suffixe me/ma/dik et ses variantes) + suffixe personnel.
27. [adam-In git-tiğ-i] okul L'école où l'homme est allé.
homme-Gen aller-Nomin-3°Sg] école lit. [à l'homme son aller] école
Difficultés potentielles en français :
Les relatives françaises (postnominales, contenant un verbe fléchi, et introduites par divers 'pronoms relatifs') n'ayant pas de contreparties en turc, on peut supposer que leur acquisition présente des difficultés pour les turcophones.
• Au même titre que les noms, les pronoms turcs se déclinent pour l'ensemble des cas présentés dans le chapitre 1, section 5.3. Ils occupent dans la phrase les mêmes positions que les SN correspondants.
nominatif
accusatif
génitif
datif
locatif
ablatif
cas du sujet, non marqué
objet direct
possesseur
objet indirect, bénéficiaire, but
lieu (position)
lieu (origine)
1Sg
ben
beni
benim
bana
bende
benden
2Sg
sen
seni
senin
sana
sende
senden
3Sg
o
onu
onun
ona
onda
ondan
1Pl
biz
bizi
bizim
bize
bizde
bizden
2Pl
siz
sizi
sizin
size
sizde
sizden
3Pl
onlar
onlarI
onlarIn
onlara
onlarda
onlardan
• Comme les SN, les pronoms peuvent être compléments d'une postposition. Ils prennent alors la marque de cas assignée par la postposition :
28. a. ben-im gibi 'comme moi+Génitif'
moi-Gen comme
b. ban-a doğru 'vers moi+Datif'
moi-Dat vers
c. benden önce 'avant moi+Ablatif'
moi-Abl avant
• Les pronoms personnels sujets (nominatifs) et possesseurs (génitifs) sont facultatifs, puisque les indications de personne et nombre qu'ils véhiculent sont recouvrables via les suffixes personnels sur le verbe ou le nom. Quand ils apparaissent, les pronoms sujets (ou 'possesseurs') sont associés à un effet d'emphase (insistance, contraste) :
29. a. kIz-Im 'ma fille' a'. ben-im kIz-Im 'ma fille à moi'
fille-1Sg moi-Gen fille-1Sg
b. Gel-di. 'Il/elle est venu(e).' b'. O gel-di. 'Lui / elle est venu(e).'
venir-Passé(3Sg) lui venir-Passé(3Sg)
• Les pronoms objets sont également facultatifs si leur référent est contextuellement récupérable :
30. a. Ayşe her yaz Hasan-la buluşur ve — ---- Bodrum-a götürür.
Ayşe chaque été Hasan-avec se retrouve et elle l' à Bodrum emmène
'Ayşe retrouve Hasan chaque année et (elle) (l')emmène à Bodrum.'
b. Ayşe her yaz Hasan-la buluşur ve — on-u Bodrum-a götürür.
Ayşe chaque été Hasan-avec se retrouve et elle l' à Bodrum emmène
'Ayşe retrouve Hasan chaque année et lui, (elle) l'emmène à Bodrum.'
Difficultés potentielles
• L'omission des pronoms en turc entraine des difficultés pour l'acquisition du français, où ils sont obligatoires :
est content pour : il est content
il jette dans l'eau pour : ils les jette dans l'eau
• Plus généralement, on peut s'attendre à ce que la position des pronoms objets, qui diffère de celles de leurs contreparties nominales (il voit le livre / il le voit) entraine des difficultés.
• De même, il est possible que la forme des déterminants possessifs, qui diffère de celle des pronoms en français (il est parti vs son départ) soit une source de difficultés.
• Les pronoms démonstratifs sont formellement identiques aux déterminants démonstratifs (bu : proximité / şu : éloignement moyen / o : éloignement plus grand, cf. chapitre 3, section 3.4.)
31. a. {Bu / şu / o} çocuk hasta. '{Cet enfant-ci / -là / là-bas} est malade.'
{ce} enfant malade
b. {Bu / şu / o} hasta '{Celui-ci/celui-là/celui-là là-bas} est malade.'
{celui-ci / celui-là/celui-là là-bas} malade
Les pronoms possessifs sont formés des pronoms personnels au génitif (cf. 7.1.1. ci-dessus) suffixés par ki :
pronoms possessifs
mon livre / ma chaise
'le mien /
la mienne'
ben-im-ki
1Sg-Gen-KI
notre livre
'le nôtre'
biz-im-ki
1Pl-Gen-KI
ton livre /
ta chaise
'le tien /
la tienne'
sen-in-ki
2Sg-Gen-KI
votre livre
'le vôtre'
siz-in-ki
2Pl-Gen-KI
son livre /
sa chaise
'le sien /
la sienne'
on-un-ki
3Sg-Gen-KI
leur livre
'le leur'
on-lar-In-ki
3Pl-Gen-KI
Annexe : Système phonétiqueet rapport graphie/phonie
Avant
Arrière
+Arrondi
-Arrondi
+Arrondi
-Arrondi
Fermé
ü /y/
[cf. u fr. rue]
i
u /u/
[cf. ou fr. roue]
ı /ɯ/
(n'existe pas en fr.)
Ouvert
ö /œ/
[cf. eu fr. peur]
e
[cf. é/è fr. j'ai]
o
a
NB : pour plus de facilité, la voyelle ı est souvent notée I. Noter que l'opposition entre i (avec point) et ı (sans point) se maintient avec les majuscules.
Labiale
Labiodentale
Alvéolaire
Palatale
Vélaire
Glottale
occlusive
p / b
t / d
k / g
fricative
f / v
s / z
ş / j
h
affriquée
ç / c
nasale
m
n
liquide
r ; l
semi-voy.
y /j/
• Prononciation des consonnes graphiques :
- lettre ş : prononcée /ʃ/ (cf. français chou)
- lettre j : prononcée / ʒ / (cf. français joue)
- lettre ç : prononcée / ʧ / (cf. anglais church)
- lettre c : prononcée / ʤ / (cf. anglais joke)
- lettre y : prononcée /j/ (cf. français abeille)
• Le ğ ('yumuşak g', 'g doux') :
Cette consonne n'est jamais prononcée (dağ 'montagne', prononcé /da:/) ; de ce point de vue, elle est comparable au 'h muet' du français.
• Morpho-phonologie des consonnes
Les consonnes subissent des modifications phonologiques qui sont signalées par l'orthographe. Ces modifications affectent le caractère sourd ou sonore des consonnes.
- devant un suffixe commençant par une voyelle, les consonnes occlusives sourdes (k, p, t, ç) deviennent sonores (ğ, b, d, c) :
exemples : uçak : avion => uçağI : avion-Accusatif
kitap : livre => kitabI : livre-Accusatif
dört : quatre => dördü : quatre-Accusatif
uç : pointe => ucu : pointe-Accusatif
- après une base terminée par une consonne sourde, les consonnes occlusives sonores (ğ, b, d, c) à l'initiale des suffixes deviennent sourdes (k, p, t, ç) :
exemples : kitap+da : livre+Locatif => kitapta
yemek+den : repas+Ablatif => yemekten
L’harmonie vocalique caractérise non seulement le turc mais l’ensemble des langues de cette famille. Il s’agit d’une règle phonologique qui régit le choix des voyelles :
- à l’intérieur d’un mot
- dans les suffixes.
L’harmonie vocalique détermine quelles combinaisons de voyelles sont autorisées dans un mot (bases et affixes). En turc, elle se fonde prioritairement sur l’opposition avant / arrière et secondairement sur l’opposition arrondi / non arrondi (cf. tableau des voyelles, section 5.1.) .
• La règle, formulation phonologique :
Dans un mot donné :
(i) - soit toutes les voyelles sont d’avant (a, I, o, u)
- soit toutes les voyelles sont d’arrière (e, i, ö, ü)
(ii)- si la 1° voyelle est non-arrondie (e, i, a, I), alors les suivantes le sont aussi.
- une voyelle arrondie (o, u , ö, ü) est suivie de voyelles :
- arrondies fermées (u, ü)
- ou non-arrondies ouvertes (a, e)
• La règle, formulation 'pratique' :
la voyelle a ne peut être suivie que par elle-même et I et vice-versa
——— e ———————————————— et i et vice-versa
——— o ———————————————— et a, u
——— ö ———————————————— et e, ü
——— u ———————————————— et a
——— ü ———————————————— et e
• Application de la règle d'harmonie vocalique
- L'harmonie vocalique régit la structure phonologique de l'ensemble des mots du turc. Elle connait néanmoins quelques 'exceptions' : certains mots turcs courants, les emprunts récents, les mots composés.
• L’harmonie vocalique ne régit pas seulement le choix des voyelles dans les bases (les radicaux), mais également le choix de celles qui apparaissent dans les suffixes. La voyelle d'un suffixe doit s'harmoniser avec la dernière voyelle de la base à laquelle il s'attache.
Chaque suffixe a donc plusieurs formes. On distingue deux types de suffixes : les suffixes à 2 voyelles et les suffixes à 4 voyelles.
- Voyelles des suffixes à 2 formes : toujours [e, a]
- Voyelles des suffixes à 4 formes : toujours [I, u, i, ü]
Exemples :
• Suffixes à 2 formes [e, a]
- Suffixe locatif : da / de
el : main ; elde : dans la main
su : eau ; suda : dans l'eau
- Suffixe d'infinitif : mak /mek
gör-mek : voir
al-mak : prendre
• Suffixes à 4 formes [I, u, i, ü]
- Passé, 1° personne du singulier : dIm, dum, dim, düm
gör-düm : j’ai vu ; al-dIm : j’ai pris
ol-dum : j’ai appris ; gel-dim : je suis venu
- Suffixe possessif (3° personne singulier) : I, u, i, ü
köy-ü : son village ; kItab-I : son livre
yol-u : sa route ; el-i : sa main
[Remarque : quelques suffixes ont des voyelles invariables].
La variabilité graphique des consonnes, due aux règles morpho-phonologiques présentées ci-dessus (5.2), couplée aux règles d'harmonie vocalique, également marquées à l'écrit, confèrent aux suffixes du turc une grande variabilité orthographique, reflet de leur variations phonologiques. Ainsi, le suffixe dik, par exemple, présente selon les contextes la série de formes suivantes (12 variantes au total) :
dik / dIk / dük / duk
tik / tIk / tük / tuk
diğ / dIğ / düğ / duğ
tiğ / tIğ / tüğ / tuğ
Akinci, Mehmet Ali (2002). Développement des compétences narratives des enfants bilingues turc-français en France âgés de 5 à 10 ans. Lincom, Münich.
De Tapia, Stéphane (2015). L'enseignement du turc en France : école et collège entre deux projets nationaux. Cahiers du GEPE 7.
Golstein, Bernard. (1997). Grammaire du turc, L'Harmattan, Paris.
Kornfilt, Jacklyn. (1997). Turkish. Routledge, New York / Londres.
Lewis, G.L. (1967). Turkish Grammar, Oxford University Press, Oxford / New York.
Lewis, G.L. (1970). Teach Yourself Turkish, Teach Yourself Books, Londres (2°ed.)
Morer , Alfred. (1988). Grammaire de la langue turque, 9° édition, L'Harmattan, Paris.
Vatin, Nicolas (1988). De l'osmanlI au turc de Turquie, les aventures d'une langue. Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, 50, 68-84.
[1] http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mographie_de_la_Turquie