Roumain : grammaire
Propriétés contrastives roumain/français et difficultés possibles pour les élèves ayant le roumain pour L1
Elena Soare
UMR SFL, Université de Paris 8 UFR Sciences du Langage
Projet Langues & Grammaires et Ile de France (LGIDF)
Document de travail 24/11/2014
Contenu
1.3. Le roumain et le français
2. Lexique : formation des mots et faux-amis
3.1.2. Flexion nominale. Cas morphologique
3.1.5. Fonctionnement des pronoms
3.1.6. Genre, nombre et accord
3.1.7. L'expression de la quantité dans le groupe nominal
3.1.8. Constructions relatives
3.2. Flexion et constructions verbales
3.2.7. Constructions à "verbes légers"
3.2.8. La flexion verbale en subordonnée (subjonctif, infinitifs, participes)
3.3.1. Interférences concernant les prépositions
4.3. Négation et mots négatifs
1. Introduction
1.1. Informations générales
Le roumain (româna) est une langue indo-européenne de la famille des langues romanes, représentant la branche orientale de cette famille, parlée par environ 24 millions de locuteurs (Roumanie et République de Moldavie). Le roumain standard parlé en Roumanie est relativement homogène ; le roumain parlé en République de Moldavie présente certaines caractéristiques dialectales, mais ne se distingue pas fondamentalement du roumain de Roumanie. En revanche, les dialectes parlés essentiellement dans des régions au sud du Danube, en Bulgarie et ex-Yougoslavie (l’aroumain, parlé aussi dans la communauté aroumaine de Roumanie, le mégléno-roumain et l’istro-roumain) sont des dialectes bien distincts de celui parlé en Roumanie, aussi nommé daco-roumain.
Cette présentation concerne le roumain standard parlé en Roumanie.
Le vocabulaire de la langue est en grande partie d’origine latine, surtout pour le fonds principal, mais le roumain est la langue romane qui a été le plus enrichie d’emprunts, étant donné sa situation géographique (une enclave latine entourée par des langues slaves et le hongrois). Quelques centaines de mots proviendraient du substrat thrace ; l’apport slave se situerait à 30-35% du vocabulaire, et on identifie également un apport hongrois, allemand, grec, turc, français, allemand et anglais à différentes moments de l’évolution de la langue. L’influence romane (et plus particulièrement celle du français partir du XIXème siècle) est notable, et a eu pour effet une « relatinisation » du vocabulaire. On peut ainsi noter des doublons dans lesquels un terme est hérité du latin et en conséquence affecté par les changements phonétiques, l’autre est emprunté par la voie du vocabulaire savant.
Tableau 1 Doublons populaire/savant dans les termes dérivés du latin
Terme courant / populaire |
Terme savant |
înger ‘ange’ / îngeresc ‘angélique’ |
angelic ‘angélique’ |
bou ‘bœuf’ |
bovin ‘bovin’ |
columnă 'colonne' |
coloană ‘colonne’ |
martor 'témoin’ |
martir 'martyr’ |
mormânt 'tombeau' |
monument 'monument' |
vână 'veine’ |
venă 'veine’ |
1.2. Ecriture
Le roumain est écrit avec l’alphabet latin depuis la fin du XIXème siècle (moment où l’alphabet latin a été adopté à la place de l’alphabet cyrillique), et il y a eu des réformes qui ont successivement simplifié l’orthographe, qui se heurtait à la difficulté des sons spécifiques au roumain. L’orthographe de la langue se base essentiellement sur le principe phonétique : un son/une graphie.
Tableau 2.
Diacritiques et conventions orthographiques pour certains sons ou groupes de sons
[ʃ] |
ș |
[ts] |
ț |
[ə] |
ă |
[ɨ] |
î |
[tʃe] |
ce |
[tʃi] |
ci |
[ʤe] |
ge |
[ʤi] |
gi |
[ke] |
che |
[ki] |
chi |
[ge] |
ghe |
[gi] |
ghi |
1.3. Le roumain et le français
La Roumanie a une longue tradition d’enseignement du français (moins intense tout de même depuis 1989), et les relations culturelles entre la France et la Roumanie ont une longue histoire. Beaucoup de Roumains parlent couramment français (même si cela semble changer avec la forte influence de l’anglais dans les dernières décennies) ; et il y a une immigration roumaine importante en direction de la France.
Le roumain est également une langue migrante, surtout à commencer par les années ’90, et développe des variétés qui subissent l’influence des langues secondes acquises dans le processus de l’immigration (l’anglais, les langues romanes – surtout l’italien, l’espagnol et le français).
On peut supposer qu’une certaine facilité des Roumains pour l’apprentissage du français pourrait venir de l’origine commune des deux langues. Il existe cependant beaucoup de différences entre les deux systèmes linguistiques (domaine nominal et verbal, flexion, structure de la phrase) ainsi que des faux amis au niveau du vocabulaire d’origine latine; beaucoup de termes qui existent dans les deux langues ont eu en effet des évolutions sémantiques différentes.
2. Lexique : formation des mots et faux-amis
En tant que langue romane, le roumain partage un lexique latin avec le français, mais aussi des patrons de dérivation aussi bien nominale que verbale.
Le roumain présente deux types de dérivés très productifs, à savoir ce qu’on appelle ‘infinitif nominal’ (base verbale + suffixe féminin –re) et ‘supin nominal’ (base participiale nominalisée) qui sont des mots abstraits dérivés de verbes et exprimant des événements. Le français ne dispose pas de ce système de dérivation mais d’un système varié basé sur des suffixes comme –tion,-ment,-age. En revanche, le roumain présente également des noms en –țiune/-ție/-siune/-sie empruntés du français ou hérités du latin.
L’impression d’être en terre connue peut donner lieu à un certain nombre de « faux amis » ou bien peut amener le locuteur roumanophone à produire des mots français qui n’existent pas. Le locuteur roumanophone peut comprendre assez vite que beaucoup de noms d’événement en français sont dérivés par l’ajout du suffixe –tion, et peut généraliser ce patron de dérivation ; de surcroît, on peut généraliser également le thème –at– (>-ation) qui n’est pas toujours présent dans les dérivés du français. D’autres patrons de dérivation propres au roumain peuvent également être prêtés au français, comme par exemple le suffixe adjectival –ic ‘-ique’, ou la dérivation sur une base nominale ou verbale sans ajout de suffixe, patrons qui existent également en roumain qu’en français mais sur des bases qui ne sont pas toujours les mêmes. Un certain nombre de telles formations sont attestées et sont illustrés dans le tableau ci-dessous.
Tableau 3. Fausses dérivations « romanes »
Forme roumaine |
Forme française |
Création |
exprimare |
expression |
*exprimation |
combinație |
combinaison |
*combination |
inversare |
inversion |
*inversation |
acceptare |
acception |
*acceptation |
claritate |
clarté |
*clarité |
protest |
protestation |
*proteste |
promisiune |
promesse |
*promission |
seriozitate |
sérieux |
*sériosité |
contura |
tracer le contour |
*contourer |
atonic |
atone |
*atonique |
romanic |
roman |
*romanique |
condus |
conduite |
*conduit |
cules |
cueillette |
*cueilli |
On peut également s’attendre à des transferts lexicaux dans certains cas où un verbe construit sur une base latine n’a pas le même sens en roumain qu’en français, comme par exemple le verbe a ajuta ‘aider’, formé sur une base existant aussi en français ; un locuteur roumanophone pourra donc produire des phrases mal formées comme (1) :
(1) *Je vais vous ajouter pour Je vais vous aider
Dans le tableau ci-dessous, quelques exemples supplémentaires de faux amis franco-roumains :
Anticar ‘bouquiniste’ |
Antiquaire ‘negustor de obiecte de arta’ |
Aperitiv ‘hors d’œuvre’ |
Apéritif ‘bautura alcoolica’ |
A articula ‘joindre un article à un nom’ |
Articuler ‘a rosti’ |
Artizanat ‘boutique d’objets d’art faits par un artizan’ |
Artisanat ‘conditia, starea de meserias’ |
Azil ‘hospice et asile’ |
Asile ‘adapost, refugiu’ |
Benzina ‘essence’ |
Benzine ‘amestec de hidrocarburi’ |
Bloc aussi ‘immeuble, bâtiment’ |
Bloc ‘bloc’ |
Bluza ‘chemisier, corsage’ |
Blouse ‘halat de lucru, de protectie’ |
Bulion ‘coulis de tomates’ |
Bouillon ‘supa de carne, zarzavaturi’ |
Cabana ‘chalet’ |
Cabane ‘coliba’ |
Candelabru ‘lustre’ |
Candélabre ‘sfesnic’ |
Cantina ‘restaurant’ |
Cantine aussi ‘cufar, geamantan’ |
Capot ‘robe de chambre’ |
Capote ‘manta militara’ |
Carnet aussi ‘carte’ |
Carnet ‘carnet’ |
Carte ‘livre’ |
Carte ‘harta’ |
Cauciuc ‘pneu’ |
Caoutchouc ‘impermeabil’ |
Chilot ‘caleçon’ |
Culotte ‘sort barbatesc ; pantaloni’ |
Chiuveta ‘évier’ |
Cuvette ‘vas de WC’ |
A consuma aussi ‘consommer’ |
Se consumer ‘a consuma’ |
Cordon ‘ceinture’ |
Cordon ‘snur, sfoara, cordon’ |
Costum (de baie) ‘maillot’ |
Costume ‘costum’ |
Crema (de ghete) ‘cirage’ |
Crème ‘smântâna’ |
Creta ‘craie’ |
Crête ‘creasta’ |
Culoar aussi ‘voie d’une autoroute’ |
Couloir ‘culoar’ |
Drogherie ‘parfumerie’ |
Droguerie ‘magazin cu articole de menaj’ |
Formal ‘superficiel’ |
Formel ‘categoric’ |
Furou ‘combinaison’ |
Fourreau ‘teaca, toc’ |
Galos ‘chaussure de caoutchouc’ |
Galoche ‘încaltaminte cu talpa de lemn’ |
Garderoba aussi ‘vestiaire’ |
Garde-robe ‘garderoba’ |
Garnitura aussi ‘parure de lit ; joint’ |
Garniture ‘garnitura’ |
A interna aussi ‘hospitaliser’ |
Interner ‘a interna’ |
Jacheta ‘veste, gilet de laine’ |
Jaquette ‘frac’ |
Jerseu ‘gilet, pull’ |
Jersey ‘tricou’ |
Lanterna ‘lampe de poche’ |
Lanterne ‘felinar’ |
Larma ‘vacarme’ |
Larme ‘lacrima’ |
Linie aussi ‘règle ; voie de chemin de fer’ |
Ligne ‘linie’ |
Local ‘boîte de nuit’ |
Local ‘local, încapere’ |
Marmelada ‘compote’ |
Marmelade ‘dulceata de citrice’ |
Ordinar ‘abject, ignoble’ |
Ordinaire ‘obisnuit, firesc, normal’ |
Ospiciu ‘asile’ |
Hospice (de vieillards) ‘azil de batrani’ |
Palton ‘pardessus’ |
Paletot ‘jacheta’ |
Pardesiu ‘manteau léger’ |
Pardessus ‘palton’ |
Parter ‘rez-de-chaussée’ |
Parterre ‘strat, rond de flori’ |
Pensionar ‘retraité’ |
Pensionnaire ‘elev, eleva într-un pension, clientul unei pensiuni |
Pom ‘arbre fruitier’ |
Pomme ‘mar’ |
Poseta ‘sac à main’ |
Pochette ‘plic, batista de purtat în buzunarul vestonului’ |
Racheta aussi ‘fusée’ |
Raquette ‘racheta de tenis’ |
Rama ‘cadre’ |
Rame ‘vâsla’ |
Reteta aussi ‘ordonnance médicale’ |
Recette ‘reteta’ |
Rezerva aussi ‘chambre individuelle dans un hôpital’ |
Réserve ‘rezerva’ |
Sacosa ‘sac à provisions’ |
Sacoche ‘geanta’ |
Sifon aussi ‘eau gazeuse’ |
Siphon ‘sifon’ |
Sonerie aussi ‘sonnette’ |
Sonnerie ‘sonerie’ |
Soseta ‘soquette’ |
Chaussette ‘ciorap’ |
Soson ‘chaussure en caoutchouc’ |
Chausson ‘papuc’ |
Statie aussi ‘gare’ |
Station ‘statie’ |
Suc (de fructe) aussi ‘jus de fruit’ |
Suc ‘suc’ |
Tabla ‘tôle, fer-blanc ; tableau noir’ |
Table ‘masa’ |
Tricou ‘maillot de corps’ |
Tricot ‘pulover, jerseu’ |
A turna ‘verser’ |
Tourner ‘a întoarce’ |
Tigara ‘cigarrette’ |
Cigare ‘tigara de foi’ |
Umbrela ‘parapluie’ |
Ombrelle ‘umbrela de soare’ |
Vapor ‘bateau’ |
Vapeur ‘abur’ |
Vesta ‘gilet sans manches’ |
Veste ‘haina,taior’ |
Veston ‘veste militaire’ |
Veston ‘haina costumului barbatesc’ |
3. Morpho-syntaxe
3.1. Le nom
3.1.1. Noms nus
Alors que les noms français sont dans une grande majorité de contextes précédés d'un déterminant, le roumain présente une utilisation plus large des noms sans article (appelés noms nus). En particulier, les noms roumains précédés d'une préposition sont nus :
(2) a. Marie est dans la maison.
b. *Marie est dans/en maison.
c. Maria e în casă
Maria est dans maison
(3) a. La maison est sur la colline
b. *La maison est sur colline.
c. casa e pe deal
maison.la est sur colline
'la maison est sur la colline’
Ce contraste permet de s'attendre à ce que les apprenants roumanophones tendent à produire en français des formes comme (2b) ou (3b), c'est-à-dire des noms nus en contexte prépositionnel.
Les noms nus sont également utilisés en roumain dans la position d’objet, exprimant une quantité indéfinie (4), qui en français est rendue par des indéfinis pluriels (5) ou singuliers dans le cas des noms de substances.
(4) a. am cumpărat cărți
ai acheté livres
'j’ai acheté des livres’
b. am adus apă
ai apporté eau
'j’ai apporté de l’eau’
(5) a. j’ai acheté des livres
b. j’ai apporté de l’eau
Les apprenants roumanophones auront tendance à produire des phrases du type (6), où ils généraliseront l’usage des noms nus en position d’objet.
(6) a. *j'ai acheté livres
b. *j'ai apporté eau
Notons à ce propos l’inexistence en roumain de l’article partitif, dont le fonctionnement est recoupé par l’utilisation des noms nus ; cela doit donc faire l’objet d’un effort particulier de la part des apprenants roumanophones.
3.1.2. Flexion nominale. Cas morphologique
Le roumain a encore des cas morphologiques : les noms présentent des formes différentes selon leur fonction dans la phrase.
On peut observer que lorsque le nom n’a pas d’article, la désinence de cas (lorsqu’elle est présente) apparaît sur le nom nu ; lorsqu’il a un article, c’est l’article qui prend la marque de cas (qui s’amalgame avec celles de genre et de nombre).
(7) Forme nue N-Accusatif Oblique
fată/fete fata / o fată fetei / unei fete
fille/filles fille-la une fille fille-Obl une-Obl fille-Obl
‘fille / la fille / une fille / de la/d’une fille / à la/une fille’
om /omul/ un om omului/ unui om
homme homme-le un homme homme-Obl un-Obl homme
‘homme / l’homme / un homme / de l’/ d’un homme / à l’/un homme’
Le nom est suivi de l’article défini
(8) a. Fata a plecat [sujet : cas Nominatif]
fille.la a parti
‘la fille est partie’
b. Am văzut fata [cod : cas Accusatif]
ai vu fille.la
'j’ai vu la fille’
c. A venit fratele fetei [cas Oblique]
a venu frère.le fille.Obl
‘le frère de la fille est venu’
d. Am dat o carte fetei [cas Oblique]
ai donné un.Fem.Sg. livre fille.Obl
‘j’ai donné un livre à la fille’
(9) a. La fille est partie. [sujet : cas Nominatif]
b. J'ai vu la fille. [cod : cas Accusatif]
c. Le frère de la fille est arrivé. [cas Oblique]
d. J'ai donné un livre à la fille. [cas Oblique]
Le nom est précédé d’un déterminant indéfini
(10) a. O fată a plecat [sujet : cas Nominatif]
une fille a parti
‘une fille est partie’
b. Am văzut o fată [cod : cas Accusatif]
ai vu une fille
'j’ai vu une fille’
c. A venit fratele unei fete [cas Oblique]
a venu frère.le une.Obl fille
‘le frère d’une fille est arrivé’
d. Am dat o carte unei fete [cas Oblique]
ai donné un livre une.Obl fille
‘j’ai donné un livre à une fille’
Le nom est nu
(11) Primul meu copil a fost fată
premier.le mon enfant a été fille
‘mon premier enfant a été une fille’
A la différence du roumain, le français marque l’oblique par des prépositions : de pour le complément du nom et à pour l’objet indirect (cf. 8c-d). L’existence de formes spécifiques pour l’oblique en roumain n’est pas forcément une difficulté pour les apprenants roumanophones, qui auront vite compris que les fonctions ‘obliques’ en français sont marquées par des prépositions. En revanche, l’existence d’une seule forme oblique en roumain peut mener à généraliser l’usage de la préposition à pour les formes obliques en français, menant à des productions comme (12c), également attesté par ailleurs en français colloquial :
(12) a. J’ai donné à manger aux enfants
b. Le jouet des enfants
c. (non-standard) Le jouet aux enfants
Le complément d’objet (à l’accusatif) ‘personnel’ est marqué en roumain par la préposition pe ‘sur’, aussi appelée marqueur d’« accusatif prépositionnel », lorsque l’objet ‘personnel’ est défini (cf. 14a), et donc toujours lorsqu’il s’agit d’un nom propre (14b-e) ou d’un pronom (14f).
(13) a. Am văzut mașina / o mașină
ai vu voiture.la / une voiture
'j’ai vu la voiture/ une voiture'
b. Am văzut o fată
ai vu une fille
'j’ai vu une fille'
(14) a. Am văzut-o pe fata vecinului
ai vu-la pe fille.la voisin.le.Obl
'j’ai vu la fille du voisin'
b. Am văzut-o pe Maria
ai vu-la pe Marie
'j’ai vu Marie'
c. O văd pe Maria
la vois pe Marie
'je vois Marie'
d. Îl văd pe Ion
le vois pe Ion
'je vois Ion’
e. L-am văzut pe Ion
le-ai vu pe Ion
'j’ai vu Ion’
f. Îl prefer pe acesta
le préfère pe celui-ci
‘Je préfère celui-ci’
On peut également voir dans (14) que l’objet prépositionnel est doublé – soit anticipé, comme c’est le cas toujours avec les noms masculins – soit repris, dans le cas des objets féminins et lorsque le verbe est à un temps composé – par un pronom faible (o 'la', îl/l- 'le', îi/i- 'les'). Ce phénomène n’existe pas en français standard :
(15) a. Marie a vu le/un garçon.
b Marie l'a vu.
c. *Marie l'a vu le garçon.
Ce redoublement pronominal s’applique également dans le cas des formes obliques, à savoir des objets indirects (16), encore une fois, à la différence du français (17) :
(16) Le-am dat de mâncare copiilor
leur-ai donné de nourriture enfants-Obl
‘j’ai donné à manger aux enfants’
(17) a. J’ai donné à manger aux enfants
b. *Je leur ai donné à manger aux enfants
Il est donc possible que les apprenants roumanophones fassent le transfert des formes avec redoublement pronominal vers le français, produisant des structures comme (15c) ou (17b).
Ce type de transfert est également prédit pour les subordonnées relatives, où en roumain il y a reprise du relatif objet par un pronom (18), à la différence du français (19). L’apprenant roumanophone produira donc des structures avec reprise pronominale en français, comme en (20) :
(18) a. cartea pe care am citit-o
livre.la pe que ai lu-la
'le livre que j’ai lu’
b. copilul căruia i-am dat bomboane
enfant.le à.qui lui-ai donné bonbons
'l’enfant à qui j’ai donné des bonbons'
(19) le livre que j’ai lu
(20) a. *le livre que je l’ai lu
b. *L’enfant à qui je lui ai donné des bonbons
3.1.3. Grammaire des articles
En roumain comme en français, les déterminants expriment le genre et le nombre. Il y a cependant d'autres différences notables entre les déterminants des deux langues.
3.1.3.1. Article défini
L’article défini est suffixé en roumain :
(21) a. le garçon et la fille sont partis
b. băiatul și fata au plecat
garçon.le et fille.la ont parti
'le garçon et la fille sont partis'
c. *garçon-le et fille-là sont partis
On s’attendrait que cette différence soit un problème potentiel pour les apprenants roumanophones qui les déterminerait à produire des formes comme (21)c ; or, il s’avère que cette distinction est acquise assez vite et de manière stable. Seulement dans un premier temps il est possible de trouver des formes de type *femme-la (aussi en association avec cette femme-là).
3.1.3.2. Indéfini et démonstratif
L’indéfini et le démonstratif précèdent le nom, comme en français :
(22) a. un băiat și o fată merg la școală
un garçon et une fille vont à école
'un garçon et une fille vont à l’école'
b. acest băiat și această fată merg la școală
ce garçon et cette fille vont à école
'ce garçon et cette fille vont à l’école'
En revanche, la morphologie n’est pas parallèle dans les deux langues. A la différence du français qui a trois formes de démonstratifs pour le singulier (en incluant l’allomorphie devant un masculin commençant par une voyelle) et une seule forme pour le pluriel (cf. ce, cet, cette – ces), le roumain a deux formes pour le singulier et deux formes pour le pluriel. Les apprenants roumanophones pourront produire des formes tendant à régulariser la situation en français, comme par exemple *cettes roses.
3.1.3.3. Le possessif
Le possessif roumain est un adjectif qui se combine avec l'article défini, alors qu'en français moderne les déterminants défini et possessif s'excluent mutuellement :
(23) a. J’attends toujours mon cadeau
b. *J'attends toujours le mien/ le mon cadeau.
c. cadoul meu încă nu a sosit
cadeau-le mien encore ne a arrivé
'mon cadeau n’est pas encore arrivé’
Cette différence entre les deux langues peut être une source de transfert du roumain vers le français, générant des structures comme (23b).
3.1.3.4. L'article adjectival
Alors que l'adjectif précède ou suit directement le nom en français, sans marqueur interposé, le roumain possède un article défini spécial (cel/cea/cei/cele), qui se place entre le nom et l’adjectif épithète. Cette insertion n’est pas obligatoire ; lorsqu’elle apparaît, elle attire un effet de notoriété ou de contraste :
(24) a. băiatul cel înalt trece pe stradă
garçon-le le grand passe sur rue
‘le grand garçon [que nous connaissons / et non pas le petit] passe dans la rue’
b. băiatul înalt trece pe stradă
garçon.le grand passe sur rue
'le grand garçon passe dans la rue’
Le français ne possède pas ce type de défini adjectival :
(25) a. J'ai vu le chat noir
b. *J'ai vu le chat le noir.
Afin d’obtenir l’effet illustré en (24)a dans une phrase française, on pourra théoriquement trouver dans les productions d’apprenants roumanophones des structures comme (25)b.
3.1.3.5. Morphologie des déterminants
Le roumain ne présente pas les allomorphies des articles (défini et démonstratif) que l'on observe en français, ce qui est également de nature à poser des difficultés aux apprenants. A la différence du français, le roumain ne connaît pas la contraction de l’article défini avec la préposition – d’autant moins que l’article défini est suffixé :
(26) a. Am nevoie de stiloul elevului
ai besoin de stylo.le élève.le.Obl
‘j’ai besoin du stylo de l’élève’
b. Am ajuns la capătul drumului
ai arrivé à bout.le chemin.le.Obl
‘je suis arrivé au bout du chemin’
(27) a. J’ai besoin du stylo de l’élève
b. *J’ai besoin de le stylo de l’élève
(28) a. Je suis arrivé au bout du chemin
b. *Je suis arrivé à le bout de le chemin
D’autres phénomènes d’allomorphie des articles présents en français par exemple pour l’article démonstratif, sont également absents en roumain :
(29) Acest copil / acest arbust a crescut
cet enfant cet arbuste a grandi
‘cet enfant / cet arbuste a grandi’
(30) a. ce livre / cet abricot me tente
b. *cet livre / *ce abricot me tente
Les apprenants roumanophones auront donc des difficultés à assimiler les cas d’allomorphie et produiront en un premier temps des formes comme en (27b), (28b) et (30b).
Comme nous l’avons déjà noté, l’article partitif n’existe pas en roumain ; ces formes devront faire l’objet d’un apprentissage attentif. Une difficulté particulière est représentée par l’alternance entre la forme du/de la/des et la forme de, par exemple en contexte négatif, menant à maintenir la forme du/de la/ des là où elle devrait être remplacée par de, cf. *je n’ai pas de l’argent ; ce problème étant d’ailleurs une difficulté potentielle pour tous les allophones.
3.1.4. Ordre Nom – Adjectif
L’ordre canonique dans le groupe nominal en roumain est Nom-Adjectif, pour tous les adjectifs. L’ordre Adjectif-Nom est hautement marqué et littéraire. Cela peut conduire les roumanophones à généraliser l’ordre Nom-Adjectif en français et à produire des séquences comme (32b), calquant (31) en roumain :
(31) Ea conduce o mașină frumoasă
elle conduit une voiture belle
‘elle conduit une belle voiture’
(32) a. Elle conduit une belle voiture.
b. *Elle conduit une voiture belle.
3.1.5. Fonctionnement des pronoms
3.1.5.1. Formes fortes et faibles
Le français a deux formes, fortes et faibles, pour les pronoms sujet, par exemple dans des exemples où le sujet pronominal est accentué (33a-b) mais aussi dans le contexte d’une coordination (33c). Le roumain en revanche ne connaît de formes faibles que pour les pronoms objet, et utilise l’intonation pour donner l’effet d’accentuation ; de plus, le roumain est une langue à sujet implicite, le pronom sujet pouvant être complètement omis.
(33) a. Il est arrivé (neutre)
b. LUI, il est arrivé (accentué)
c. Lui et sa femme sont arrivés.
(34) a. (El) a sosit (neutre)
il a arrive
‘Il est arrivé’
b. EL a sosit (accentué)
IL a arrivé
‘Il est arrivé’
c. El și soția lui au sosit.
il et femme.la sa ont arrivé
'Lui et sa femme sont arrivés’
Les formes fortes sont également utilisées en français dans les contextes prépositionnels. Dans ce cas encore, le roumain connaît une seule forme :
(35) a. Elle est partie avec lui.
b. A plecat cu el.
a parti avec il
‘Elle est partie avec lui’
Cette situation de contraste entre les deux langues mènera à des productions mal formées de la part des locuteurs roumanophones :
(36) a. *Il et sa femme sont arrivés.
b. *Elle est partie avec il.
3.1.5.2. L'expression de l'indéfini-humain
Le roumain n’a pas de pronom indéfini analogue au français on, qui, selon les contextes, pourra se traduire par exemple par les équivalents de 'tu' ou 'nous' :
(37) a. On a du mal à apprendre le roumain
b. E greu să înveți franceza
est lourd que apprennes français-le
'Il est difficile d’apprendre le français’
Litt: Il est difficile que tu apprennes le français
(38) a. On est souvent touché par les compliments.
b. Suntem adesea măguliți de complimente.
sommes souvent flatté de compliments
'On est souvent flatté par les compliments’
Litt: Nous sommes souvent flattés par les compliments
Les apprenants roumanophones pourront utiliser donc le pronom tu pour rendre les valeurs de on en français, produisant des structures du type :
(39) a. #Tu peux souvent te tromper pour 'on peut souvent se tromper’
b. #Nous sommes souvent flattés par les compliments pour 'on est souvent flatté
3.1.5.2. Combinaisons de pronoms
L’ordre des pronoms compléments n'est pas toujours parallèle dans les deux langues :
(40) a. Je le lui donne
b. i-l dau
lui-le donne
‘je le lui donne’
c. *je lui le donne
Les apprenants roumanophones auront des difficultés à produire l’ordre correct des pronoms compléments en français et feront des transferts comme en (40)c.
Avec le verbe putea ‘pouvoir’ suivi d’une subordonnée infinitive, les pronoms objet du verbe enchâssé vont se réaliser en roumain sur le verbe principal (41a-b), ce qui n’est pas le cas en français
Roumain Français
(41) a. Îl pot face Je peux le faire
le peux faire
'Je peux le faire’
b. Se poate face Cela peut se faire
se peut faire
'Cela peut se faire’
Ces contrastes prédisent l’apparition de productions mal formées chez les locuteurs roumanophones, qui auront tendance à placer le pronom sur le verbe principal en français :
(42) a. *Je le peux faire
b. *Cela se peut faire
3.1.5.3. Possession "inaliénable"
Le roumain et le français disposent d'une syntaxe spéciale connue sous le nom de "Possession Inaliénable" parce qu'elle met prototypiquement en jeu des noms dénotant des parties inaliénables du corps humain (ou animé) . En français, la syntaxe de la Possession Inaliénable, qui associe un pronom datif incarnant le Possesseur à un nominal défini dénotant le Possessum (ex. (44b)), est restreinte à certains noms lexicaux — canoniquement, les noms de parties du corps (comme cheveux en (44b), mais non chemise en (43b)) :
Possession dite "aliénable" : possessif + N
(43) a. J'ai coupé sa chemise.
b. ?Je lui ai coupé la chemise.
Possession dite "inaliénable" : pronom datif + article défini
(44) a. J'ai coupé ses cheveux.
b. Je lui ai coupé les cheveux.
En roumain, la syntaxe de la Possession Inalianéble, illustrée par le patron (44b), a une extension beaucoup plus large que son homologue en français : elle est compatible non seulement avec les noms de parties du corps comme 'cheveux', mais avec quasiment n'importe quel substantif — comme 'chemise', par exemple (cf. (45b)), ou 'soupe' en (46) :
(45) a. I-am tăiat părul
lui-ai coupé cheveu.le
'je lui ai coupé les cheveux’
b. I-am tăiat cămașa
lui-ai coupé chemise.la
'je lui ai coupé la chemise’
(46) Mănâncă-ţi supa!
mange-toi soupe-la
Lit. 'Mange-toi la soupe !'
Il s'ensuit une difficulté potentielle pour les roumanophones, qui tendront à produire la syntaxe Inaliénable là où on ne l'attend pas en français standard, comme en (47), exemple attesté faisant écho au roumain (46) :
(47) *Mange-toi la soupe !
3.1.6. Genre, nombre et accord
3.1.6.1. Discordance de genre roumain/français
Les noms roumains peuvent avoir trois genres – Masculin, Féminin et Neutre (cf. section suivante). En soi, cela ne pose cependant pas de difficulté particulière aux apprenants. En revanche des problèmes de confusion de genre apparaissent étant donné le fait que les deux langues ont une distribution arbitraire des genres pour les noms inanimés.
Notamment, les différences de genre entre des mots roumains et français similaires par le sens ou ayant une étymologie commune sont une source prévisible de difficultés :
Roumain Français
(48) a. țara mea mon pays
pays ma
'mon pays’
b. televizorul la télévision
télévision.le
'la télévision’
c. un chibrit une allumette
un allumette
'une allumette’
d. o îndoială un doute
une doute
‘un doute’
e. un dinte une dent
un dent
'une dent'
Les apprenants roumanophones se tromperont donc sur le genre de certains noms inanimés comme en (49). La confusion en (49b) est d’autant plus plausible que le mot télévision existe en roumain, et veut dire ‘(chaîne de) télévision’.
(49) a. *ma pays
b. *le télévision
c. *la doute
d. *le dent
Plus particulièrement, les noms roumains terminés par –a ou –é (dont un bon nombre sont des emprunts du français) sont masculins en français mais féminins en roumain et donc représentent une source de confusions, cf. (50):
(50) o pijama o canapea
camelia dalia
(51) un pyjama un canapé
le camélia le dahlia
(52) *ma pyjama, *la canapé
Pour les apprenants d’un niveau plus avancé, des interférences peuvent encore se faire sentir dans l’accord à distance des pronoms anaphoriques :
(53) j’ai pris mon pyjama… mais *elle était trouée
3.1.6.2. « Neutres »
Ce que l’on appelle ‘neutre’ en roumain (voir aussi section précédente) est majoritairement un ‘faux’ genre qui emprunte ses formes au masculin pour le singulier et au féminin pour le pluriel. Cependant, comme il ne s’agit pas de noms qui changent de genre mais qui prennent le masculin au singulier et le féminin au pluriel, et comme ces noms sont très nombreux dans la langue, on considère cela comme un genre à part.
(54) a. un chibrit, două chibrituri
un.Masc allumette, deux.Fém allumettes
b. un tren, două trenuri
un.Masc train deux.Fém trains
L’accord au féminin pluriel en roumain peut générer des accords fautifs pour certains noms en français: ces trains… *elles etc.
On peut s’attendre aussi à des situations d’accord partiel dû aux hésitations de genre, comme en (55) où seul l’un des mots accompagnant le nom s’accordent
(55) a. *son belle bijou
b. *un petit allumette
3.1.6.3. Pluriel des adjectifs français en -al
La morphologie des adjectifs français en –al /-aux (ex. l'exercice final/les exercices finaux) risque d'être difficile à assimiler pour un roumanophone, étant donné l’existence en roumain d'une classe d'adjectifs en –al, présentant dans cette langue une flexion régulière: final, finală, finali, finale. Il est donc certain que l’apprenant roumanophone produira en français des formes comme finals :
(56) *les exercices finals, *les moyens lexicals, *les compléments adverbials
3.1.7. L'expression de la quantité dans le groupe nominal
Les indéfinis ont des propriétés syntaxiques particulières qui peuvent poser des problèmes d’apprentissage du français.
Les quantificateurs comme 'beaucoup' - mult/multă/mulți/multe – ou 'peu' puțin/puțini/puțină/puține ont en roumain un usage adjectival, précédant directement le nom et s’accordant en genre et en nombre. En français, ces quantificateurs ont une origine nominale et ont gardé une syntaxe nominale, tout comme les noms quantitatifs million, millier, tas, tonne etc (cf. 58). A côté de ceux-là, le français a également des quantifieurs adjectivaux comme en (59).
(57) mulți/puțini copii
beaucoup.M.Pl./peu enfants
'beacoup/peu d’enfants’
(58) a. beaucoup/peu d’enfants
b. *beaucoup/peu enfants
(59) a. plusieurs enfants
b. quelques enfants
On prédit donc l’apparition de formes comme (58b), où le statut adjectival des quantifieurs peu et beaucoup est généralisé au français.
En revanche, le fonctionnement des nombres à commencer par vingt est nominal en roumain, et demande l’insertion de la préposition de, à la différence du français (cf. Fiche Numération):
(60) a. douăzeci de copii
vingt de enfants
'vingt enfants'
b. o sută de copii
une cent de enfants
'cent enfants'
(61) a. vingt enfants
b. *vingt d’enfants
En un premier temps, il est donc possible d’avoir des productions du type (61)b avec l’insertion de la préposition. Par ailleurs, on peut signaler l’existence en français des nominaux dizaine, centaine et leur inexistence en roumain, qui utilise les numéraux respectifs, déjà de nature nominale.
Lorsqu’un numéral cardinal et un numéral ordinal comme premier, dernier se combinent, le roumain impose l’ordre ordinal>cardinal (62), à la différence du français (63):
(62) ultimele trei locuri au fost ocupate
dernier.les trois places ont été occupées
'les trois dernières places ont été occupées'
(63) a. les trois dernières places ont été occupées
b. *les dernières trois places ont été occupées
Ce contraste prédit l’apparition de transferts de la part des locuteurs roumanophones, sous la forme de productions mal formées comme (63)b.
Il existe en roumain une forme plurielle et définie du cardinal un, unii/unele 'les uns/les unes' qui fonctionne comme un déterminant indéfini (cf.64), étant donc suivi du nom indéfini. En français, un ne se pluralise que dans l’expression les uns / les autres. L’interprétation de cet indéfini en français peut être rendu par l’indéfini certains ou quelques, selon le contexte. Ces contrastes et la coïncidence de forme avec les uns... les autres en français peut mener chez les apprenants roumanophones à des productions comme (65b), qui fait écho au roumain (64):
(64) unii copii nu știu lecția
uns enfants ne savent leçon-la
‘certains/quelques enfants ne savent pas la leçon’
(65) a. certains enfants ne savent pas la leçon
b. *les uns enfants ne savent pas la leçon
3.1.8. Constructions relatives
Les relatives ont une structure assez semblable dans les deux langues, mais le roumain est plus complexe dans la mesure où les pronoms relatifs ont une morphologie qui tient compte de la variation de cas (Nominatif/Accusatif vs. Oblique).
La forme de base du système relatif roumain est le pronom care :
(66) Nominatif Oblique Acc
care ‘qui’ – (al/a/ai/ale) căruia/căreia/cărora ‘de qui’, dont pe care ‘qui ou que’
cu care ’avec qui’
pentru care ’pour qui’…
Le fonctionnement de ce pronom est assez parallèle des pronoms relatifs lequel, laquelle, duquel, de laquelle etc ; le roumain n’a pas de formes courtes comme dont, qui et que qui devront être apprises telles quelles par les apprenants roumanophones. Les difficultés que peuvent poser les relatives françaises à un locuteur roumanophone sont donc notamment de nature morphologique (la forme des pronoms relatifs).
Roumain Français
(67) a. fata care a cumpărat câinele b. la fille qui a acheté le chien
fille.la laquelle a acheté chien.le
'la fille qui a acheté le chien'
(68) a. câinele pe care l-a cumpărat fata b. le chien que la fille a acheté
chien.le pe lequel le-a acheté fille.la
'le chien que la fille a acheté'
On observe que le relatif à l’Accusatif est précédé par la marque d’accusatif prépositionnel pe. L’apprenant roumanophone devra donc acquérir le système des pronoms relatifs courts en français. On observe également le redoublement pronominal que nous avons mentionné plus haut et qui peut être généralisé dans les relatives en français (cf. plus haut section 3.1.2).
Dans les relatives prépositionnelles (où le pronom relatif est précédé d’une préposition), le roumain et le français sont assez parallèles, sauf pour la contraction qui n’existe pas en roumain, et qui prédit l’apparition chez les apprenants roumanophones de formes comme à lequel, de lequel, etc. Là encore, donc, la difficulté est de nature morphologique.
Roumain Français
(69) a. fata pentru care am cumpărat flori b. la fille pour qui j’ai acheté des fleurs
fille.la pour laquelle ai acheté fleurs
'la fille pour laquelle/qui j’ai acheté des fleurs'
(70) a. exemplul la care am făcut aluzie b. l’exemple auquel j’ai fait allusion
exemple.le à lequel ai fait allusion
'l’exemple auquel j’ai fait allusion’
Lorsque l’élément relativisé est oblique, le roumain n’a pas non plus de formes contractées :
(71) a. Vecinii cu ai căror copii am plecat în vacanță
voisins avec D-Gen qui-Gen enfants ai parti en vacances
'Les voisins avec les enfants de qui je suis parti en vacances...’
b. Fata ai cărei ochi au fost remarcați de toată lumea
fille-la D-Gen qui-Gen yeux ont été remarqués de tout monde-la
lit. 'la fille de laquelle (les) yeux ont été remarqués par tout le monde'
‘La fille dont les yeux ont été remarqués par tout le monde’
On peut donc prévoir des difficultés à mettre en place la distribution des formes courtes et contractées des pronoms relatifs. Les apprenants roumanophones pourront produire en un premier temps des phrases comme (72)a, où l’usage des formes complexes est généralisé, ou bien des exemples où l’usage de dont n’exclut pas la présence d’un possessif dans la phrase relative :
(72) a. *La fille de laquelle les yeux ont été remarqués par tout le monde.
b. *La maison dont son toit a été réparé.
3.2. Flexion et constructions verbales
3.2.1. Valence verbale
Il existe des verbes qui ne se situent pas dans la même classe en ce qui concerne le régime des compléments (transitif direct ou indirect, par exemple) dans les deux langues. L’acquisition de la construction verbale devra donc faire l’objet d’un apprentissage particulier pour les locuteurs roumanophones. Des cas particuliers qui peuvent être signalés sont par exemple le verbe ierta 'pardonner', qui en roumain, à la différence du français, peut apparaître comme transitif direct dans une construction comme (73). En français en revanche, ce verbe apparaît avec un complément indirect personnel dans une construction prépositionnelle, et respectivement oblique lorsque le complément indirect est un pronom (74):
(73) Am iertat-o (pe Maria)
ai pardonné-la pe Maria
'j’ai pardonné à Marie'
(74) J’ai pardonné à Marie. Je lui ai pardonné.
Ce même verbe aura en roumain une construction différente si les deux compléments sont réalisés, comme en (75) avec une construction oblique pour l’objet personnel, ou bien en (76) avec un objet direct et un complément prépositionnel inanimé.
(75) I-am iertat greșeala lui Ion
lui-ai pardonné faute.la Det.Obl Ion
'J’ai pardonné à Ion sa faute'
(76) L-am iertat pe Ion de greșeli
le-ai pardonné pe Ion de fautes
'J’ai pardonné à Ion pour ses fautes'
Un locuteur roumanophone pourra donc produire la construction mal formée en (77) :
(77) *Je l’ai pardonné(e).
En revanche, pour un apprentissage raisonné, on peut se baser sur la construction en (75), avec où le bénéficiaire du pardon est exprimé par un oblique, et qui est parallèle au français.
Le roumain, à la différence du français, présente dans le cas de certains verbes une construction avec deux objets accusatifs. Par exemple, le verbe a învăța, qui se traduit par ‘enseigner’ ou ‘apprendre’, selon le contexte. Ce verbe peut avoir deux objets directs, une propriété inexistante en français (78b) et que les locuteurs roumanophones seraient susceptibles de produire:
(78) a. Maria îl învață franceza pe Ion
Maria le enseigne français.le pe Ion
‘Maria enseigne le français à Ion’
b. *Marie apprend Ion le français.
c. *Elle l’a appris les maths.
Une autre construction de nature à poser des difficultés est celle du verbe changer. Ce verbe (a schimba) en roumain a une construction directe, à la différence du français (79)a-b:
(79) a. Mi-am schimbat cămașa
b. J’ai changé de chemise
L’apprenant roumanophone pourra donc produire des phrases mal formées comme (80), où le complément du verbe changer est en régime direct :
(80) *J’ai changé la voiture/la chemise
Des contrastes de même type concernent des constructions avec verbe être + adjectif qui n’ont pas les mêmes prépositions dans les deux langues, comme străin de ‘étranger à’ Litt. « étranger de» ou îmbrăcat în 'vêtu de', Litt. "vêtu en", qui peuvent donner des interférences du type *étranger de, *vêtu en noir. Pour d’autres interférences concernant les prépositions, voir aussi plus bas, section 3.4.
3.2.2. Actif et passif
Les formes actives et passives sont construite de la même façon en roumain et en français (verbe être + participe passé accordé en genre et en nombre) :
Roumain Français
(81) a. copilul a cules florile b. l’enfant a cueilli les fleurs
enfant.le a cueilli fleurs.les
'l’enfant a cueilli les fleurs’
(82) a. florile au fost culese de (către) copil b. les fleurs ont été cueillies par l’enfant
fleurs.les ont été cueillies de (vers) enfant
'les fleurs ont été cueillies par l’enfant’
En français standard, le complément d’agent est introduit le plus souvent par la préposition par (cf. 82.b), mais dans certains contextes (comme les verbes d’état) la préposition de peut apparaître :
(83) ce professeur est très aimé des enfants
Le roumain utilise de manière généralisée un complément d’agent en de (suivi en roumain standard de la préposition către 'vers'). Les apprenants roumanophones pourront généraliser l’usage de la préposition de, comme en (84) :
(84) *il a été interrogé du professeur
3.2.3. Forme pronominale
Les verbes roumains peuvent, comme ceux du français, apparaître à ce qu'on appelle traditionnellement la forme pronominale, caractérisée par l'occurrence du pronom se à la troisième personne :
Français
(85) a. Il se regarde dans le miroir. (sens réfléchi)
b. Ils s'aiment. (sens réciproque)
c. La branche s'est cassée en deux (sens anticausatif)
d. Le saucisson se mange avec du pain. (sens passif)
e. Ce bébé se sert déjà d'une cuiller. (forme pronominale lexicalisée)
Roumain
(86) a. Se privește în oglindă
se regarde en miroir
'Il se regarde dans le miroir’
b. Se iubesc
se aiment
'Ils s’aiment’
c. Ramura s-a rupt în două
branche.la se-a rompu en deux
'La branche s’est cassée en deux’
d. Salamul se mănâncă cu pâine
salami.le se mange avec pain
'Le salami se mange avec du pain’
e. Acest copil se folosește deja de lingură
cet enfant se sert déjà de cuiller
'Cet enfant se sert déjà d’une cuiller’
En revanche, les formes pronominales lexicalisées ne correspondent pas toujours dans les deux langues. Certains verbes pronominaux en roumain peuvent correspondre à des verbes non-pronominaux en français :
Roumain Français
(87) a. se joacă ils jouent
se jouent
'ils jouent’
b. se gândesc ils pensent
se pensent
'ils pensent’
c. se tem ils craignent
se craignent
'ils craignent’
(88) evadează ils s’évadent
évadent
'ils s’évadent'
Les apprenants roumanophones pourront produire des formes pronominales là où en français elles n’existent pas (cf.89a-c) et l’inverse (cf.89d) :
(89) a. *ils se jouent
b. *ils se pensent
c. *ils se craignent
d. *ils évadent
A noter enfin le cas des verbes pronominaux réciproques, qui en roumain admettent aussi bien la forme purement réciproque comme (90)a, que la forme N1 se V avec N2, qui n’existe pas en français. En conséquence, on s’attend à ce que les roumanophones produisent des énoncés français mal formés comme (90)c :
Roumain Français
(90) a. Ion și Maria se sărută Jean et Marie s’embrassent
Ion et Marie se embrassent
b. Ion se sărută cu Maria *?Jean s’embrasse avec Marie
Ion se embrasse avec Marie
c. S-a sărutat cu ea *Il s’est embrassé avec elle
s’a embrassé avec elle
3.2.4. Passé narratif
En roumain comme en français, la forme du passé simple a disparu de la langue courante. Elle reste vivante seulement dans certains dialectes et dans un style littéraire archaïque (contes). Même dans la langue écrite, le temps standard du récit au passé est le passé composé, construit sur le même modèle qu'en français (v.auxiliaire + participe passé).
Contrairement à ce qu'on observe en français, toutefois, les temps composés du roumain n'utilisent qu'un seul auxiliaire à la voix active — 'avoir :
(91) a. j’ai chanté; je suis tombé; je me suis cassé la jambe
b. am cântat; am căzut; mi-am rupt piciorul
ai chanté ai tombé me-ai cassé jambe.la
Les contextes requérant en français l'auxiliaire être à la voix active nécessiteront donc un apprentissage attentif de la part des roumanophones, qui risquent de généraliser l'auxiliaire avoir en français en produisant des suites comme (926a), au lieu de (92b) :
(92) a. * J’ai tombé, *J'ai parti, Je m’ai cassé la jambe
b. Je suis tombé, Je suis parti(e), Je me suis cassé la jambe.
3.2.5. Futur et conditionnel
Le futur s'exprime en roumain standard au moyen du verbe 'vouloir' employé comme auxiliaire :
(93) voi cânta vei cânta va cânta
vouloir1.Sg chanter etc
Lit. 'Je veux chanter, tu veux chanter, il veut chanter.'
= 'Je vais chanter, tu vas chanter, il va chanter’
En français, il existe deux formes, l’une périphrastique (aller + infinitif) et l’autre flexionnelle (basée sur des désinences: -erai, -eras, -era etc).
En revanche, en roumain familier, d’autres formes basées sur la forme de subjonctif précédée de la marque de futur o sont beaucoup plus vivantes :
(94) o să cânt, o să cânți, o să cânte
Fut que chanter.Subj.1Sg...
L’apprenant roumanophone devra apprendre à maîtriser en français les formes temporelles avec leurs valeurs respectives et le registre où elles fonctionnent, et comprendre par exemple que la forme périphrastique avec vouloir n’a pas pour correspondant exact en français la forme périphrastique avec aller.
Le français et le roumain utilisent tous les deux des formes appelées "conditionnel" pour l’expression des valeurs hypothétiques:
(95) Je prendrais bien un peu de viande.
(96) Aș mânca puțină carne.
COND manger peu viande
'Je mangerais un peu de viande'
Le conditionnel en roumain n’a que des valeurs hypothétiques et n'exprime jamais le 'futur du passé', comme en français.
(97) Știam că va veni aseară
savais que FUT venir hier soir
'Je savais qu’il viendrait hier soir’
(98) Je savais qu'il viendrait hier soir.
L’apprenant roumanophone aura donc besoin d’un effort pour maîtriser la distribution des formes de futur et de conditionnel en français. En particulier, il pourra produire des phrases comme (99) sans faire ce qu’on appelle la concordance des temps:
(99) a. *Je savais qu’il viendra
b. *Si je descendrai en enfer,…
Contrairement au français standard, le roumain n'interdit pas les temps Futur et Conditionnel dans les subordonnées conditionnelles en 'si' :
(100) a. Si je pourrai, je ferai.
b. Dacă aș putea, aș face
si Cond.1Sg. pouvoir, Cond.1Sg. faire
Litt : si je pourrais, je ferais
= ‘si je pouvais, je ferais’
Les apprenants roumanophones risquent donc de produire en français des phrases mal formées comme en (101), sur le modèle roumain illustré en (100b) :
(101) a. *Si j'aurais su, j'aurais chanté.
b. *Si je mourrai, tu pourras partir.
3.2.6. Auxiliaires aspectuels
3.2.6.1. Aspect inchoatif (procès qui commence)
Le roumain, comme le français, utilise certains verbes pour signaler le commencement d'un procès (l'"aspect inchoatif"). Mais les verbes utilisés dans cette fonction ne se correspondent que partiellement, comme illustré dans le tableau en (102) :
(102)
Roumain |
Exemples |
Analogue français |
Exemples |
începe 'commencer' |
Începe acest roman '(Il) commence ce roman.' Începe să plouă '(Il) commence à pleuvoir.' |
commencer |
Il commence ce roman.
Il commence à pleuvoir. |
'a se pune pe'
lit. 'se mettre sur' |
A pus cartea pe masă 'Il a mis le livre sur la table.' S-a pus pe cântat Lit. 'Il s'est mis sur chanter." |
mettre
se mettre à |
Il a mis le livre sur la table.
'Il s'est mis à chanter.' |
porni 'partir'
Lit. 'partir à' |
A pornit în călătorie 'Il est parti en voyage.'
Se pornește să plouă Lit. 'Il part à pleuvoir.'
|
partir
se mettre à |
Il part en voyage.
Il se met à pleuvoir. |
A se apuca 'prendre'
Lit. 'se prendre de' |
'Se apucă de roman.' Se apucă de citit Lit. 'Il se prend de fumer.'
|
prendre
se mettre à |
Il prend son roman.
Il se met à fumer. |
On peut donc s'attendre à certains transferts de la part des apprenants roumanophones, produisant en français des suites mal formées telles que (97) :
(103) a. *Il {est parti/s'est parti/a parti} à pleuvoir.
b. *Il s'est/s'a pris de/à fumer.
c. *Il s'est/s'a mis sur/de chanter.
3.2.6.2. L'aspect progressif (procès en cours) ou répétitif
En roumain standard ou courant, il n'existe pas de locutions verbales pour signaler le procès en cours de déroulement ou de répétition, analogues à être en train de, ne pas arrêter de, ne pas cesser de : l'effet progressif ou répétitif est signalé dans cette langue par des adverbes (par exemple tocmai 'justement'). L'apprentissage des locutions verbales du français dans des phrases telles que (104) pourra donc présenter une certaine difficulté :
(104) a. Il est en train de dormir.
b. Il n'arrête/ne cesse pas de dormir.
Dans le but d’exprimer le sens d’un procès qui commence, le locuteur roumanophone pourra faire appel à des adverbes, ce qui peut mener à des productions comme en (105), qui ne sont pas l’équivalent de (104) :
(105) a. #Il travaille justement (pour Il est en train de travailler)
b. #Elle chante justement (pour Elle est en train de chanter)
3.2.7. Constructions à "verbes légers"
On appelle ainsi de "petits" verbes à sens assez abstrait qui, en combinaison avec certains compléments d'objet, forment des locutions verbales dénotant des types d'événements ou d'activités — cf. en français donner dans donner une gifle à quelqu'un (= 'gifler'), prendre dans prendre racine (= 's'enraciner'), faire dans faire les courses (= 's'approvisionner'), etc. Il existe en roumain, comme en français, des constructions à verbe léger, mais elles ne se correspondent pas terme à terme, ce qui peut être une source de difficulté dans l'apprentissage de l'autre langue. Ceci est illustré dans le tableau en (106).
(106)
|
ROUMAIN |
|
FRANCAIS |
|
Verbe léger |
Objet |
Exemples |
Verbe |
Exemples |
Faire |
Bain |
Ion face o baie Lit. 'Ion fait un bain' Ion face o baie bebelusului Lit. 'Ion fait un bain au bébé.' |
prendre
donner |
Jean prend un bain.
Jean donne un bain au bébé. |
Tirer |
savon (= râclée) |
Ion a tras o sapuneala Mariei Lit. 'Ion a tiré un savon à Marie.' |
passer
mettre |
Jean a passé un savon à Marie.
Jean a mis une râclée à Marie |
|
|
|
|
|
On peut donc s’attendre à trouver des interférences dans le choix des verbes supports pour les périphrases du français :
(107) a. *Marie fait un bain (au bébé)
b. *Jean a tiré un savon à Marie
3.2.8. La flexion verbale en subordonnée (subjonctif, infinitifs, participes)
En français comme en roumain, il existe des phrases subordonnées qui utilisent soit des verbes avec une flexion complète (indicatif), soit des verbes à flexion appauvrie (subjonctif, qui présente toutefois des formes conjuguées, ou infinitif, qui n’en présente pas).
Toutefois, les deux langues n’utilisent pas de la même façon les formes verbales dans la subordonnée. En français, dans une phrase comme (108a) on utilise l’infinitif, alors qu’en roumain on utilise une forme fléchie qui est proche du subjonctif français:
(108) a. je veux chanter
b. vreau să cânt
veux que (je) chante.Subj
‘je veux chanter’
En français la forme de subjonctif est utilisée dans les contextes où le sujet du verbe principal et celui de la subordonnée ne renvoient pas à la même personne ; ici, le français et le roumain correspondent :
(109) a. je veux qu’il chante
b. vreau să cânte
veux que (il)chante.Subj
‘je veux qu’il chante’
En raison de ce contraste entre le français et le roumain, on s’attend à ce que les locuteurs roumanophones produisent des phrases mal formées en français comme (110), où la forme subordonnée conjuguée est transférée au contexte où les sujets des deux verbes ne renvoient pas à la même personne :
(110) *Je veux que je chante.
Le même contraste concerne les phrases causatives en 'faire-laisser' :
(111) a. Je l’ai fait attendre
b. Je l’ai laissé partir
(112) a. L-am făcut să aștepte
le-ai fait que attende
‘Je l’ai fait attendre’
b. L-am lăsat să plece
le-ai laissé que parte
‘Je l’ai laissé partir’
Ces contrastes laissent attendre de la part des locuteurs roumanophones des structures mal formées comme (113)a-b :
(113) a. *J’ai fait/ je l’ai fait qu’il attende
b. *J’ai laissé / je l’ai laissé qu’il parte
Dans certains contextes, lorsque le verbe subordonné et laisser/faire ont un sujet qui renvoient à la même personne, la forme du verbe subordonné en roumain peut être le participe, alors que le français utilise l’infinitif :
Roumain Français
(114) a. Se face înțeles Il se fait comprendre
se fait compris
'Il se fait comprendre’
b. Se lasă așteptat Il se laisse attendre
se laisse attendu
'Il se laisse attendre’
En vue de ces contrastes, les locuteurs roumanophones produiront des phrases mal formées comme (115), où le participe remplace l’infinitif attendu en français. La difficulté est d’autant plus grande que dans certains contextes, le français aussi peut utiliser le participe, comme dans le cas des verbes d’état comme en (116), où il y a correspondance entre les deux langues:
(115) a. *Il se fait compris
b. *Il se laisse attendu
Roumain Français
(116) a. Se simte iubită Elle se sent aimée
se sent aimée
‘Elle se sent aimée’
b. S-a văzut încununat de succes Il s’est vu couronné de succès
se-a vu couronné de succès
‘Il s’est vu couronné de succès’
3.2.9. Choix du subjonctif dans la subordonnée en fonction de l’évaluation du contenu propositionnel (possible etc)
Avec un prédicat évaluatif et un verbe subordonné qui exprime un événement non encore réalisé, en règle générale les deux langues utilisent le subjonctif (la forme en que pour le français et en sa pour le roumain)
Roumain Français
(117) a. E mai bine să plece Il vaut mieux qu’il parte
est plus bien que parte
'Il vaut mieux qu’elle parte’
b. E preferabil să fii mai prevăzător Il est préférable que tu fasses attention
est préférable que sois plus prévoyant
‘Il est préférable d’être plus prévoyant’
En revanche les deux langues divergent lorsque le prédicat de la subordonnée dénote un fait accompli. En roumain, c'est l’indicatif (passé) qui est utilisé, même quand le verbe principal est évaluatif.
Roumain Français
(118) a. Ești dezamăgită că am venit? Tu es déçue que je sois venu?
es déçue que ai venu
‘Tu es déçue que je sois venu ?’
b. Îți pare rău că n-am plecat? Tu regrettes que je ne sois pas parti?
te paraît mal que ne ai parti
‘Tu regrettes que je ne sois pas parti ?’
Ces contrastes sont de nature à prédire des transferts comme celui qui est illustré en (119), où l’indicatif prend la place du subjonctif en français :
(119) a. *Tu es déçue que je suis venu ?
b. *Tu regrettes que je ne suis pas parti ?
Un contraste du même type concernant le choix du mode est représenté par le comportement des noms comme fait, qui attirent le choix du subjonctif en français standard mais de l’indicatif en roumain :
(120) a. Faptul că a venit mă deranjează
fait-le que a venu me dérange
b. Le fait qu’il soit venu me dérange
Là encore, on s’attend à des productions mal formées comme en (121), issu d’un transfert à partir de (120)a :
(121) *Le fait qu’il est venu me dérange
Le contexte négatif dans la principale influence le choix du mode en français mais pas en roumain, où nous trouvons jusqu’à un certain point la variation libre, à moins que le verbe principal n’exprime une hypothèse (conditionnel):
(122) a. Nu cred că vine.
ne crois que vient
'Je ne crois pas qu’il vienne’
b. Je ne crois pas qu’il vienne
(123) N-aș crede să vină
ne-Cond.1.Sg. croire que vienne
'Je ne croirais pas qu’il vienne’
Les locuteurs roumanophones pourraient donc produire des constructions mal formées comme (124). La comparaison des exemples français avec des exemples comme (123) serait une modalité de favoriser l’apprentissage du subjonctif en français en contexte négatif.
(124) *Je ne crois pas qu’il vient.
Avec les verbes impersonnels à interprétation générique comme il faut, il suffit de, le roumain utilise le subjonctif conjugué à la deuxième personne du singulier, alors que le français utilise l’infinitif :
Roumain Français
(125) a. Trebuie să citeşti toate lucrările recente. Il faut lire tous les travaux récents.
faut que lises tous travaux-les récents
‘Il faut lire tous les travaux récents’
b. E de-ajuns să-ţi faci liniştit datoria. Il suffit de faire tranquillement son travail.
est suffisant que-te fasses tranquille devoir-le
‘Il suffit de faire tranquillement son devoir’
Ces contrastes sont de nature à prédire en français des roumanophones des constructions comme en (126), qui font écho au roumain :
(126) a. #Il faut que tu lises tous les travaux récents.
b. #Il suffit que tu fasses tranquillement ton devoir.
Beaucoup de différences se présentent également dans le choix du mode dans les diverses subordonnées. En subordonnée concessive, par exemple, le roumain n’utilisera pas le subjonctif mais l’indicatif, alors que le français impose le subjonctif (127a). Les locuteurs roumanophones produiront donc des exemples mal formés du type (127b) avec l’indicatif.
Roumain Français
(127) a. Deși nu e de acord, nu spune nimic Bien qu’il ne soit pas d’accord, il ne dit rien
quoique ne était de accord, ne a dit rien
‘Bien qu’il ne soit pas d’accord, il ne dit rien’
b. *Quoiqu’il pleut,… *Bien qu’il n’est pas d’accord,…
Le conditionnel en alternance avec l’indicatif est utilisé en roumain dans des concessives comportant une idée de choix possible, alors que le français utilise le subjonctif:
Roumain Français
(128) Oricare ar fi /este jocul, regulile sunt aceleași Quel que soit le jeu...
quel.que Cond3Sg être / est jeu-le, règles-les sont mêmes.F.Pl.
‘Quel que soit le jeu, les règles sont les mêmes’
Ce contraste est à nouveau source de transfert possible, donnant des structures mal formées comme (129) :
(129) *Quel que serait / est le jeu, les règles sont les mêmes.
Le subjonctif roumain n’est jamais sélectionné dans la relative, à la différence du français (130a-b), sauf dans le cas d’une interprétation claire de but poursuivi, auquel cas les deux langues sont parallèles (131a-b) :
(130) a. Este cartea cea mai interesantă pe care am publicat-o anul acesta
est livre-le le plus intéressant pe-que avons publié-3SgFém année ce
‘C’est le livre le plus intéressant que nous ayons publié cette année’
b. C’est le livre le plus intéressant que nous ayons publié cette année
(131) a. Caut o secretară care să știe procesare de text.
cherche.1Sg. une secrétaire qui que sache traitement de texte
‘Je cherche une secrétaire qui sache le traitement de texte’
b. Je cherche une secrétaire qui sache taper à la machine.
Le contraste illustré en (130) est une source potentielle de difficultés. On s’attend à des productions comme (132) où l’indicatif remplace le subjonctif attendu en français :
(132) *C’est le livre le plus intéressant que nous avons publié cette année
3.3. Circonstants
3.3.1. Interférences concernant les prépositions
Les découpages différents dans l’usage de diverses prépositions sont des sources possibles de difficultés pour les apprenants roumanophones. Vu qu’il existe une certaine similarité au sein des éléments marquant la relation spatio-temporelle, mais que les combinaisons dans les cas complexes ne sont pas forcément les mêmes, on s’attend à des interférences comme dans le cas de depuis vs. de et leurs formes composées: >*de quand pour depuis quand, de pour depuis :
Roumain Français
(133) a. De când e aici ? Depuis quand est-il là ?
de quand est ici
'Depuis quand est-il ici ?’
b. De azi dimineață Depuis ce matin
de aujourd’hui matin
‘Depuis ce matin’
L’existence de ce contraste prédit l’apparition de phrases mal formées comme () chez les locuteurs roumanophones :
(134) *Il est là de ce matin
Le roumain utilise beaucoup de prépositions complexes formées sur de, qui n’existent pas en français : par exemple de+en=din ‘en, provenant de’, de pe ‘de sur’, de sub ‘de sous’ – pour exprimer la source, la provenance, ou bien le contenu – d’où possibilités d’interférences avec utilisation d’une forme complexe pour une forme simple:
Roumain Français
(135) a. o cană din ceramică une tasse en céramique
une tasse de+en céramique
‘une tasse en céramique’
b. casa de pe deal la maison sur la colline
maison-la de sur colline
‘la maison sur la colline’
En général, vu que dans beaucoup de cas la préposition de en roumain a un correspondant spécifique en français, on s’attend à observer chez les apprenants roumanophones un usage élargi de de en français, sous la forme de productions mal formées comme en (136) :
(136) *la maison de sur la colline
En revanche, dans d’autres contextes le roumain n’insère pas de préposition (cf. de en 137) là où le français le fait. De ce pas, on peut s’attendre chez les roumanophones à des productions comme (138) :
Roumain Français
(137) nimic bun rien de bon
rien bon
‘rien de bon’
(138) *Il n’y avait rien bon
3.3.2. Adverbes
Certains adverbes roumains ont la même forme que les adjectifs correspondants (absence de morphologie correspondant au suffixe adverbial –ment). Par exemple :
(139) a. cunosc perfect franceza
connais parfait français-Det
‘je connais parfaitement le français’
b. un accent perfect
un accent parfait
Les apprenants roumanophones peuvent donc avoir des difficultés à maîtriser les adverbes français en -ment, risquant de produire des formes inacceptables telles que (140) a. On peut également mentionner la confusion possible chez les roumanophones entre l’adverbe comment et la conjonction comme, qui en roumain ont la même forme, ce qui peut mener à des phrases mal formées comme (140b) :
(140) a. *je connais parfait le français ; *parler mauvais ; *se débrouiller difficile
b. *Je ne sais pas comme il a réussi à faire ça.
La place des adverbes représente une autre propriété distinctive des deux langues. Le roumain, à la différence du français, place les adverbes à la suite du complexe verbal y compris aux temps composés:
(141) a. am (*deja) mâncat deja
ai mangé déjà
'J’ai déjà mangé’
b. mâncasem deja
manger.pqp.1sg. déjà
'J’avais déjà mangé’
Cette propriété est de nature a poser uné légère difficulté aux apprenants roumains qui devront apprendre l’ordre auxiliaire-adverbe-participe passé qui est standard français, et pourront en un premier temps produire des constructions mal formées comme (142) qui ne sont pas standard en français:
(142) #J’ai mangé déjà
Les adverbes ici et là ont des propriétés différentes dans les deux langues. Ainsi, là en français est non spécifié pour l’opposition proche/lointain, à la différence du roumain où les adverbes aici - ici et acolo – là apparaissent en contraste pour marquer cette opposition. De telles nuances peuvent poser des problèmes de traitement aux apprenants roumanophones.
(143) a. Reste là !
b. Rămâi aici!
On peut noter l’absence en roumain d’équivalent pour les proformes adverbiales y et en, propres au français (cf. 144). Le fonctionnement de ces « pronoms adverbiaux » doit donc faire l’objet d’un effort pour les L1roumains. L’effet est la production de phrases elliptiques dans une étape initiale de l’acquisition de la langue, comme en (144b) :
Roumain Français
(144) a. Mă duc J’y vais
me vais
‘J’y vais’
b. Je vais. Je viens.
On peut aussi s’attendre à l’utilisation généralisée de l’adverbe là dans les contextes où l’on attend y :
(145) ?Je vais là.
Le roumain présente une homonymie entre l’adverbe și 'aussi' et la conjonction și 'et', comme illustré en (146)a-b. Cela peut aussi mener à des productions mal formées comme (146)b :
Roumain Français
(146) a. A venit și Maria. Maria aussi est venue.
a venu et Maria
'Maria aussi est venue’
b. Maria și Ion au venit Marie et Jean sont venus
Maria et Ion ont venu
'Maria et Ion sont venus'
c. *Et Marie est venue.
3.3.3. Marqueurs de degré.
Pour exprimer les degrés de signification en roumain, on utilise en roumain des constructions complexes qui sont complètement différentes de celles du français. Plus précisément, on se sert de l’adverbe mai ‘plus’ pour la forme de comparatif de supériorité, et la forme complexe mai puțin ‘plus moins’ pour le comparatif d’infériorité.
Roumain Français
(147) a. mai frumos plus beau
plus beau
b. mai puțin important moins important
plus moins important
‘moins important’
Il est donc possible de trouver chez les locuteurs roumanophones des constructions qui généralisent la construction complexe en français :
(148) *plus moins important
Pour les adjectifs exprimant la quantité la comparaison implique plus de termes termes qu’en français:
Roumain Français
(149) a. mai mulți oameni plus de gens
plus beaucoup hommes
b. mai puțini copii moins d’enfants
plus moins d’enfants
(150) lucrez mai mult decât el je travaille plus que lui
travaille.1Sg. plus beaucoup que lui
'Je travaille plus que lui’
On s’attend donc à voir apparaître des constructions mal formées affectant la syntaxe de beaucoup et des autres quantifieurs dans des constructions comparatives, telles (151) :
(151) a. *Il a plus beaucoup d’argent.
b. *Il a plus moins d’enfants.
c. *Je travaille plus beaucoup que lui.
L’expression de l’intensité pour les adjectifs qualificatifs utilise en roumain la forme atât ‘tant’ qui est par ailleurs un quantifieur, suivie de la préposition de – alors que le français utilise simplement la construction si+adjectif:
(152) Era atât de frumoasă
était tant de belle
‘Elle était si belle’
L’existence de la construction proche tant de en français peut amener les locuteurs roumanophones à produire des constructions comme (153) en calquant la construction roumaine de degré en (152) :
(153) *Elle était tant (de) belle.
4. Phrase
4.1. Sujet implicite.
Le pronom sujet, qui est obligatoirement présent en français, est implicite ou absent en roumain (153, 154b). On dit que le roumain est une langue "à pronom sujet implicite."
(153) a. Il pleut/*Pleut.
b. Plouă.
pleut
(154) a. Je mange / tu manges / il mange …
b. Mănânc.
mange1sg
On peut s’attendre donc, en un premier temps, de trouver des productions mal formées en français des roumanophones, avec l’omission du pronom sujet comme en (155) :
(155) a. *Pleut.
b. *Mange.
c. *Est tard
La présence du pronom sujet en roumain produit un effet d'emphase rendu en français par un pronom fort accentué :
(156) a. LUI, il a fait ça
b. EL a făcut asta
LUI a fait ça
Les contreparties roumaines des formes impersonnelles du français comme il y a, il est bon, il est important apparaissent sans pronom sujet apparent en roumain. Certains prédicats impersonnels prennent la forme réfléchie: se poate 'il se peut’, se cuvine 'il convient’. En raison de ces contrastes, on peut s’attendre à trouver chez les roumanophones des phrases mal formées comme (158):
Roumain Français
(157) a. Se poate să plecăm mâine Il se peut que nous partions demain
se peut que partions demain
'Il se peut que nous partions demain’
b. Nu se cuvine să vorbești așa
ne se convient que parles ainsi
‘Il ne convient pas de parler ainsi’
(158) a. *Se peut que nous partions demain.
b. *Ne se convient que tu parles ainsi.
4.2. Ordre des mots.
L’Ordre VS est possible dans le cas des verbes intransitifs non-agentifs comme arriver, venir, tomber. La phrase (159)b est possible en tant que réponse à la question « Que se passe-t-il ? » et met l’accent sur l’événement. En (159c), on observe le même ordre des mots dans un contexte où l’on veut faire ressortir le sujet :
(159) a. Ion a venit.
Ion a venu
'Ion est venu.'
b. A venit Ion
a venu Ion
'Ion est venu.'
c. A venit Ion [nu Maria]
a venu Ion (pas Maria)
‘Ion est venu (pas Marie)’
Le français n’admet pas cet ordre des mots :
(160) a. Jean est venu.
b. C'est Jean qui est venu (pas Marie).
c. *Est venu Jean (pas Marie).
d. *Est parti ton frère ?
Les apprenants roumanophones risquent donc de produire en français des formes comme (160c). Notons également que le roumain ne dispose que de l’intonation pour mettre en relief des constituants de la phrase, et que donc des exemples de phrases dites ‘clivées’ comme (160b) sont inexistants.
4.3. Négation et mots négatifs
Le système de la négation est différent dans les deux langues. Alors qu’en français standard la négation de phrase comporte deux constituants, le roumain n'utilise qu'un seul marqueur :
(161) a. Je ne mange pas.
b. Nu mănânc.
ne mange
Le contraste illustré en (161) conduit l'apprenant roumanophone à établir un parallèle entre un morphème négatif (nu) en roumain et deux morphèmes (ne...pas) en français. Toutefois, en présence de mots comme rien, personne, jamais (mots dits à polarité négative), le roumain nu semble avoir pour contrepartie le seul morphème ne en français :
(162) a. Je ne mange rien
b. Nu mănânc nimic
ne mange rien
(163) a. Personne n’est venu
b. Nimeni nu a venit
personne ne a venu
On s'attend donc à ce que les apprenants roumanophones hésitent sur l'identification du/des marqueur(s) de négation en français en produisant des formes comme (9) ou (164) :
(164) a. *Je ne mange pas rien
b. *Personne n’est pas venu
c. *Aucun ne sait pas…
(165) a. *Il n’est venu
b. *Elle n’a compris
En (164), l'apprenant aura incorrectement généralisé que nu = ne...pas à partir d'exemples comme (162b) ; en (165) il aura incorrectement généralisé que nu = ne à partir d'exemples comme (161).
Des problèmes spécifiques concernent aussi la conjonction de négation ni – nici en roumain, sa position et ses combinaisons avec d’autres mots négatifs dans la phrase. Cette conjonction négative a deux usages en roumain; elle peut mettre en contraste un constituant sur lequel elle fait porter la négation, auquel cas elle correspond en français à ... non plus (166); ou bien elle sert à la coordination négative, comme ni en français cf. (167) :
Roumain Français
(166) Nici el nu a dormit. Lui non plus n’a pas dormi.
ni il ne a dormi
'Lui non plus n’a pas dormi’
(167) Nici Ion, nici Maria nu au venit Ni Jean, ni Marie ne sont venus
ni Ion ni Marie ne ont venu
'Ni Jean, ni Marie ne sont venus’
(168) *Ni lui n’a (pas) dormi.
Cette situation peut engendrer des structures mal formées comme en (168), dans lesquelles la conjonction française ni se voit attribuer le rôle d’élément marquant en même temps le contraste et la négation de constituant.
Un contraste entre les deux langues peut être observé en ce qui concerne l’ordre des constituants de la phrase négative contenant un quantifieur comme tous. En roumain, c’est la négation nu qui apparaît en première position, alors qu’en français on a l’ordre inverse (169):
Roumain Français
(169) Nu toți copiii au venit Tous les enfants ne sont pas venus.
non tous enfants.les ont venu
'Tous les enfants ne sont pas venus’
Les locuteurs roumanophones produiront, comme conséquence de ce contraste entre les deux langues, des phrases mal formées comme (170) :
(170) *Pas tous les enfants sont venus.
Comme noté précédemment, le roumain n’a pas de structures clivées du type c’est... que. Une conséquence de ce fait dans la phrase négative est que la négation va occuper la première place, et sera focalisée tout comme le constituant qui la suit. Cela donne en roumain des constructions comme (171), qui sont l’équivalent de clivées négatives en français :
Roumain Français
(171) Nu atunci a început catastrofa Ce n’est pas à cette époque-là que...
pas alors a commencé catastrophe.la
'Ce n’est pas à ce moment-là qu’a commencé la catastrophe’
Les difficultés des locuteurs roumanophones portant sur ces constructions donneront des constructions mal formées en (172) proches du roumain (171) :
(172) *Pas alors a commencé la catastrophe.
4.4. Interrogatives
La différence la plus notable entre les deux langues concernant les structures interrogatives est représentée par la construction est-ce que/ inversion du sujet qui apparaît en français, et qui est une source de difficultés pour tous les locuteurs allophones. Pour les roumanophones, il est difficile de faire la différence entre les phrases interrogatives en qui et en que, et les structures en est-ce que et inversion du sujet sont difficiles à maîtriser, pouvant mener à des productions mal formées diverses, comme par exemple celles en (174).
Roumain Français
(173) Ce se întâmpla ? Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui se passe ?
que se passe
‘Que se passe-t-il/ Qu’est-ce qui se passe ?’
(174) a. *Que se passe ?
b. *Qui se passe ?
REFERENCES
Câșlaru, Mariana-Diana. 2013. L’interlangue des apprenants roumains de FLE au carrefour des langues romanes. Thèse de doctorat, Université d’Avignon et Université Alexandru Ioan Cuza de Iasi.
Cristea, Teodora. 1977. Eléments de grammaire contrastive, domaine français-roumain, Bucureşti. Editura didactică şi pedagogică.
Mollaert, Céline. 2002. Les erreurs de français des roumanophones : essai de typologie. Buletinul Științific al Universității Politehnica – Timișoara.
Țenchea, Maria. 1999. Etudes contrastives (Français-Roumain), Timişoara : Hestia.